Après notre petite pause cocooning à Athènes, nous avons repris la route, les vélos et les bagages délaissés depuis 3 semaines. Nous avions décidé de rejoindre une île, Kefalonia, dans l’archipel ionien. Les températures le jour y sont à peu près les mêmes que sur le continent à latitude comparable, mais l’insularité nous offrait davantage de confort la nuit pour bivouaquer, 4 à 5 degrés de différence.
Nous avons rejoint la gare routière d’Athènes sans encombre, presque surpris de ne pas avoir eu de problèmes pour circuler en ville. Nous avions fait un peu d’une montagne le trafic à Athènes, tout s’est finalement bien passé. À la gare routière par contre, surprise, point de bus pour Kefalonia ce jour-là. Nos plans tombaient à l’eau. Nous nous sommes rabattus sur Patra, qui était plus ou moins sur notre itinéraire. 2H30 de bus plus tard, nous arrivions dans la troisième agglomération grecque. La nuit approchant, nous avons cherché un hôtel. Nous avons été très surpris des prix pratiqués, élevés et peu négociables, si bien que nous avons atterri dans l’auberge la plus miteuse qu’il soit possible de concevoir. Une petite chambre-dortoir à 24€ pour deux, les enfants n’ayant pas à payer pour leur couchette. Pour ce prix, il fallait un peu fermer les yeux, oublier les murs couverts de moisissure, les draps sales, les sanitaires à l’abandon. On avait un peu l’impression d’être dans une auberge sur le point de fermer. Les propriétaires devaient attendre sagement que le tout s’écroule avant de s’exiler loin de ce taudis.
Le lendemain, nous avons déguerpi au plus sec et avons été nous renseigner pour attraper un bus pour notre fameuse île. Nous en avons trouvé un, mais on nous demandait 35€ pour mettre les vélos dans la soute, pour 75km. Radins que nous sommes, nous avons décidé de rejoindre Kyllini à vélo d’où nous pouvions prendre un bateau pour Kefalonia.
Ce fut un des endroits les plus quelconques que nous ayons traversés jusqu’ici. Pas une région désagréable en soi, mais une région totalement défigurée par l’activité humaine. Le cadre d’origine était plutôt bon, la mer, une belle petite plaine entourée de montagnes. Mais voilà, l’agriculture intensive était passée par là, des serres à perte de vue, peu importe où vous tourniez la tête. Après les bananes en Crète, nous découvrîmes qu’ici on cultivait la fraise et la saison était déjà bien commencée. En plus, il n’y avait pas de réseau routier secondaire, ce qui compliqua considérablement notre route pour éviter la nationale. Nous avons aussi eu droit pendant des jours à un défilé d’avions militaires au-dessus de nos têtes, nous faisant comprendre où passait l’argent du gouvernement grec.
Coup de mou
Oui, de mon côté, le retour à la vie nomade fut un peu rude. Je me demandais en mon for intérieur ce que nous pouvions bien foutre là. Il faisait froid la nuit, pas plus de 4°C. C’était moche et faute de carte, nous naviguions à vue. Après presque 11 mois de voyage, la lassitude frappait à la porte, j’avais envie de quitter la Grèce. La Feta et les feuilles de vigne farcies avaient eu raison de moi. Je voulais passer à autre chose.
Un jour, perdu au milieu d’une piste de terre, un militaire reconverti en policier arrondissant ses fins de mois dans la fraise nous apostropha. Il me regarda dans le blanc des yeux en me disant « It’s extreme what you’re doing man ! Go back home and take care of your family ! (C’est extrême ce que tu fais mec ! Rentre chez toi et occupe-toi de ta famille !) ». Je reconnaissais bien là les paroles d’un sage prophète et il n’en aurait tenu qu’à moi, j’aurai acheté des billets d’avion illico. Sandrine essaya plutôt de le rassurer en lui disant que les enfants allaient très bien, il rajouta alors : « I’m a strong man ! I fought in Kosovo, I killed men but when it comes to children… (Je suis un homme fort, j’ai combattu au Kosovo, j’ai tué des hommes, mais quand il s’agit des enfants…) ». Un peu ému, il est allé chercher des bonbons en nous disant que ses enfants à lui étaient bien chanceux…
Un peu d’Asie
Cette contrée désolée nous a toutefois permis de faire de belles rencontres. Comme je le disais plus haut, nous avons longé des serres pendant plusieurs jours. Nous fûmes surpris de constater que les travailleurs ne sont pas grecs, mais viennent pour la plupart du Bangladesh, du Pakistan ou d’Inde. Un jour, alors que nous demandions à un berger si nous pouvions planter la tente dans une oliveraie, un groupe de ces travailleurs nous rejoignit. Nur, celui qui parlait le mieux anglais nous proposa de le suivre, il avait un endroit à nous offrir où nous pourrions passer la nuit. Nous le suivirent et nous retrouvâmes aux abords d’une mare cernée de serres. Trois d’entre elles ne servaient pas à la culture, mais avaient été transformées pour d’autres usages. La première servait de salle de prière, la seconde était organisée en dortoirs et la dernière servait de cuisine et de lieu de stockage. La serre principale était composée d’un petit vestibule avec des lits et une longue pièce où s’entassaient les couchages. Les couchettes étaient faites de matelas posés sur des palettes surélevées par des caisses de lait. Chaque lit accueillait deux travailleurs, en tout, treize personnes dormaient là. Nur nous proposait de passer la nuit avec eux, ils s’arrangeraient pour nous faire de la place et nous laisser deux lits. Nous nous sentions un peu mal à l’aise, ne sachant que faire. Refuser les aurait certainement blessés, mais accepter nous aurait tous conduits à passer une très mauvaise nuit. Nous imaginions déjà Yanaël hurlant, incapable de se rendormir.
Nous avons fini par planter la tente à côté des serres et avons passé la soirée avec eux. Étrange défilé de personnages touchants et attachants, venus tenter leur chance eu Europe dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils ont acheté leur droit de passage pour venir se perdre dans ses serres. Certains au prix fort, l’un racontait à Sandrine que sa famille avait vendu la maison et la ferme pour lui payer le voyage. Aucun parmi eux ne trouve son compte ici, ils se plaignent bien évidemment ( Greece, big problem ! too much big big problem !) de leur condition de vie, entassés dans une serre, sans sanitaires ni eau potable et s’imaginent déjà un ailleurs plus flamboyant, en France ou en Italie.
Bien évidemment, ils sont payés une misère, entre deux cent et quatre cent euros par mois suivant la quantité de travail qu’on leur propose. Pas de contrat, ils travaillent quand il y a suffisamment de fraises à récolter. L’un d’entre eux nous demandait si en France on pouvait avoir les mêmes conditions de vie ou de travail. Nous nous rappelions alors la rencontre avec Herman en Roumanie qui passait six mois de l’année dans un bidonville à Paris et nous leur faisions remarquer que tristement cette misère humaine pouvait aussi être le sort qui les attend s’ils décidaient de venir en France. La plupart sont pourtant diplômés de l’enseignement supérieur et s’attendaient certainement à toute autre chose en rejoignant l’Europe. Sandrine me dit plus tard que parmi eux ils y en avaient qui comptaient rentrer au Bangladesh à la fin de la saison de fraises. Face au peu de perspective qu’on leur offre, c’est peut-être mieux, même si derrière il faut aussi assumer une forme d’échec de celui qui n’a pas réussi à faire fortune à l’étranger. C’est toujours mieux que de mentir et de faire croire toute sa vie à sa famille et à ses proches que l’on s’en sort dans cet ailleurs alors qu’en fait, on souffre et l’on a du mal à joindre les deux bouts.
Cette rencontre restera en tout cas un moment fort de notre voyage et nous ne regrettions déjà plus d’être passés par cette région qui ne nous a pas offert de sites UNESCO, mais un témoignage bouleversant sur la situation des migrants illégaux en Europe.
Secousses
Nous avons finalement rejoint le petit port de Kyllini mercredi 12 mars et avons sauté dans le ferry qui attendait sur le quai. Une traversée d’une heure pour arriver à Poros et constater qu’encore une fois nous accostions sur une île bien montagneuse.
Nous avions prévu d’aller au nord de l’île pour reprendre le bateau jusqu’à l’île de Lefkada. Encore aurait il fallu que nous sussions (imparfait du subjonctif du verbe savoir) que la route était fermée depuis peu. Deux tremblements de terre ont frappé l’île les 26 janvier et 9 février nécessitant des travaux sur la route principale. Nous avons été contraints de faire plus ou moins une boucle par le sud.
En tout cas, c’est une île très agréable, offrant des plages magnifiques et de belles montagnes verdoyantes. Nous n’en avons peut-être pas profité à sa juste valeur. Nous sommes restés dans la partie plus habitée de l’île, agréable mais pas aussi sauvage que ce que nous aurions espéré.
Contrairement aux îles que nous avons traversées jusqu’ici, la plupart des champs et des oliveraies sont clôturés rendant parfois le camping sauvage un peu compliqué. À Argostoli, nous avons demandé à un berger de camper dans le champ où paîtraient ses brebis. Il nous à répondu que c’était trop dangereux à cause des pakistanais…. Il nous a conseillé de rejoindre le ferry mis à la disposition des habitants depuis les tremblements de terre. Intéressés, nous avons essayé d’en savoir un peu plus. Les gens semblent avoir été vraiment touchés par les secousses sismiques. Il faut dire qu’il y en a eu plus de 1300 supérieures à 3 sur l’échelle de Richter en un mois et on annonce un séisme plus important encore prochainement. Il n’y a pas eu de victimes, mais la ville de Lixouri par exemple a reculé de 20cm. On imagine la sensation que cela doit faire. Nous avons nous aussi eu droit à quelques secousses, légères. Nous n’en menions pas large. Pour la première fois, notre tente semblait être l’endroit le plus sécuritaire de l’île, à condition de ne pas s’installer au pied d’une falaise…
Concernant notre fameux bateau, le gouvernement grec l’a mis en place pour tous les gens qui appréhendent de dormir chez eux en cas de nouveau séisme ou qui ont subi des dégâts trop importants. Pas très à l’aise, nous avons été demandés si nous pouvions nous aussi profiter du confort intérieur comme nous l’avaient suggéré plusieurs personnes. Nous étions curieux de voir ce qu’il en était à l’intérieur, de rencontrer des « victimes », de faire nos apprentis journalistes. Comme nous nous y attendions finalement, les militaires armés en charge des contrôles nous ont gentiment indiqué l’hôtel le plus proche…
La fin de l’hiver et la crise grecque.
Ce n’est pas sans un certain plaisir que nous avons vécu sur Kefalonia nos derniers jours d’hiver. À l’heure où nous quittons l’île, sonne pour nous le début du printemps et l’espoir de jours plus longs et de températures en constante hausse. En tout cas, une chose est sûre, nous avons gagné notre pari contre le froid et le mauvais temps. Comme partout en Europe, il semble que nous n’ayons pas vraiment eu d’hiver, nous ne nous en plaindrons pas, nous n’aurons jamais autant campé qu’en février. Comme quoi, il n’est pas nécessaire de s’exiler très loin pour connaître un peu de douceur.
Mais comme dirait l’adage Souviens toi le printemps dernier, nous restons sur nos gardes. Tout fout le camp et surtout le temps.
Seul bémol, nous connaissons à notre tour ce que l’on aurait tendance à appeler la crise grecque. Après les visites des copains, les séjours prolongés dans des intérieurs douillets et les orgies dépensières, nous constatons irrémédiablement que les caisses se vident. Sandrine en ministre des dépenses prévoit déjà pour nous une longue austérité. Suffira t’elle à endiguer la crise ?
Ronan