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Carnets de route

Rakia à tous les étages

À notre arrivée en Bulgarie, nous pensions traverser le pays en coup de vent, longer la mer et rejoindre la Turquie au plus vite. Un peu démotivés à l’idée d’aborder une nouvelle langue qui plus est avec un alphabet différent, nos premières confrontations avec les infrastructures hôtelières nous confortèrent dans le choix de quitter le pays au plus vite.

Mais les choses se passent rarement comme on l’imagine. Les températures clémentes – certes un peu fraîches la nuit – la proximité avec la mer et le bonheur simple de voir nos enfants gambader sur les plages de sable désertées par les touristes nous ont conduit à revoir un peu nos plans.

Notre cadence s’est ralentie, pas vraiment pressés de rejoindre Istanbul. Nos fins d’après-midi se terminent souvent par des goûters sur le bord de la plage, Elouan poussant le vice jusqu’à se baigner. Notre petit garçon nous fait rire. Un certain mimétisme le conduit à employer certaines de nos expressions, à sa sauce. Vamos à la Playa est devenu « la mousse à la playa », il joue avec son « pistolet à l’eau », regarde avec curiosité les « toilettes séchées ». Il est aussi devenu un super héros qui lance des boules de foin pour se protéger des méchants.

Nous ne pensions pas au vu des complexes hôteliers qui ravagent peu à peu la côte rencontrer beaucoup de locaux. Le bulgare, nous disions nous, doit être un peu blasé, quand il s’agit de discuter avec un touriste. C’est souvent vrai, même pour des cyclos-voyageurs. La côte bulgare semble être aussi une destination privilégiée pour cette espèce. Nous en croisons beaucoup depuis notre entrée dans le pays alors que nous n’en avions quasiment pas vu jusqu’ici. On nous demande souvent si nous allons à Istanbul. Nous qui ne voulions pas rejoindre les circuits cyclistes classiques, nous voilà sur une belle autoroute à vélos.

Il suffit pourtant de s’éloigner un peu dans les terres pour retrouver des villages avec un semblant de vie et les habitants qui vont avec. A Orizare par exemple, alors que nous traversions le village en pleine fête et qu’Elouan savourait sa première barbe à papa, un homme d’une cinquantaine d’années est venu nous aborder pour nous montrer un endroit pour passer la nuit. Je pensais naïvement qu’il allait nous inviter chez lui, il n’en fut rien. Stoian me conduisit effectivement chez lui, mais il habitait chez un ami qui tenait une pension non officielle. L’homme me fit visiter les chambres et si nous restions, il nous promit de nous faire déguster un repas pour le jour de sa fête. Heureux de pouvoir rencontrer des bulgares, nous acceptions la proposition.

Rosa et Petro nous ont accueillis à bras ouvert. Les plats se sont succédés sur la table bien évidemment accompagnés de Rakia que les bulgares consomment un peu comme du vin. Nous nous sentions plus invités que clients. Le lendemain, les deux hommes nous ont proposé une petite visite de Nessebar en voiture. Une autre expérience, celle de la conduite bulgare. Petro, malgré ses 77 ans, conduisait comme un jeune automobiliste se faisant fi des limitations et des nids de poule qui jonchaient la route, avec nous quatre cramponnés sur la banquette arrière. Yanaël était assis sur mes genoux, Elouan au milieu, le tout sans ceintures de sécurité.

Nous avons passé la matinée à nous balader et à découvrir un peu l’histoire de cette ville. Conquise par les grecs, les romains, les byzantins et les bulgares, Nessebar est un peu un musée à ciel ouvert qui recèle de vestiges. Malheureusement, la ville est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ça sent un peu trop la carte postale et les étals de souvenir.

Pour le déjeuner, Stoian a eu la bonne idée de vouloir nous faire découvrir un plat traditionnel. Au port, trouvant quelques pêcheurs revenus de leur nuit de travail, il est revenu les bras chargés de deux sacs contenant de petits poissons que l’on déguste en friture. De retour à la pension, il a demandé aimablement à Rosa de bien vouloir s’en occuper. Elle s’exécuta, non sans faire un peu la grimace malgré notre aide. Nous sommes repartis après le repas, heureux de cette première rencontre. Nous avons payé la chambre l’équivalent de 10€ mais avons eu bien plus en échange.

Deux jours plus tard, perdus dans un petit village en quête d’une épicerie, nous sommes tombés nez à nez avec Petar, chauffeur routier balbutiant quelques mots d’allemand. En voyant nos enfants, il nous proposa de venir manger chez lui. Nous l’avons suivi, il était 14h et nous avions déjà mangé mais les invitations sont précieuses et ne se refusent pas. La petite maison était bien spartiate. Pas de cuisine, les plats se préparant sur les plaques du mini-four posé à même le sol. Pas d’eau chaude, il n’y avait qu’un petit trou dans le béton à l’extérieur en guise de toilettes. Sa femme, Mimi, nous a servi une délicieuse Banitsa, plat traditionnel et une sorte de ragoût de mouton. Le tout fut bien évidemment accompagné de Rakia.

Nous étions heureux d’être là, dans cette petite maison qui reflétait bien la réalité que nous nous faisions de la Bulgarie, bien loin des clichés des complexes hôteliers et des stations balnéaires. Pourtant, nous avons vite déchanté. Petar s’est mis en tête de vider la bouteille de Rakia malgré les deux litres de vin qu’il s’était enfilé un peu plus tôt à l’épicerie. Mimi le suivait sur un rythme un peu moins frénétique mais tout aussi inquiétant. Chaque verre de Rakia était accompagné de plusieurs cigarettes. L’atmosphère dans la maisonnette est vite devenue irrespirable et nous nous sentions un peu mal à l’aise. Petar a continué à boire et quand la bouteille de Rakia s’est retrouvé vidée, il est parti à l’épicerie acheter de la bière. Le couple a insisté pour que nous dormions à l’intérieur. La maison n’offrait pourtant qu’une chambre. Nous avons réussi à négocier de mettre la tente dans le jardin. Les discussions ont ensuite un peu dérapé, Petar n’était plus capable d’aligner deux mots sauf pour insulter les turcs et les arabes. Gênés, nous nous sommes éclipsés sous la tente. Le lendemain, alors que la pluie et le vent avaient fait rage toute la nuit, nous nous sommes aperçus que la maison prenait l’eau, exactement à l’endroit où l’un de nous devait dormir. Nous étions définitivement contents d’avoir refusé le lit qu’ils nous proposaient et d’avoir dormi au sec dans la tente.

Nous sommes repartis de là au plus vite, attristés de voir ces gens sympathiques se détruire à petit feu. C’est la loterie des rencontres, elles nous ont souvent offert le meilleur mais parfois une invitation peut aussi se transformer en mauvais moment à passer.

Nous avons continué notre chemin sur la côte et après Burgas, avons trouvé l’ancienne route nationale aujourd’hui abandonnée et en piteux état. Bien évidemment, nous avons fini par nous perdre et nous nous sommes retrouvés dans un petit port de pêche bien authentique. Nous avons demandé à un homme où se trouvait la plage pour camper. Il est parti chercher sa voiture et nous a guidé sur la bonne route. Nous attendant en haut de la côte en nous regardant souffrir pour avaler la petite montée, il nous a finalement proposé de dormir chez lui. Nous sommes revenus sur nos pas et avons eu un peu peur en voyant la maison qui ressemblait plus à un hangar désaffecté. Nous n’avions aucune envie de revivre la même aventure qu’avec Petar & Mimi. Une fois à l’intérieur, le petit chalet était finalement très bien équipé et offrait une vue magnifique sur la rivière, bordée de part et d’autre par de petites habitations de pêcheurs plus ou moins aménagées. L’endroit sert surtout de lieu de villégiature pour les habitants de Burgas qui y viennent pour le week-end ou les vacances. Tochko nous a fait faire le tour du propriétaire et nous a demandé de nous installer. Puis, il nous a laissé là, prétextant vouloir rejoindre ses amis au bar. Nous pensions le voir revenir très tard, éméché. Quinze minutes plus tard, il est revenu les bras chargés de victuailles et nous a préparé des grillades. Nous avons passé une bien belle soirée en sa compagnie. Fin communicant, il a réussi à nous raconter sa vie malgré les barrières linguistiques. Il travaille dans une raffinerie, tenue par un grand groupe pétrolier italien. Il est soudeur et malgré ses vingt ans d’expériences professionnelles, il gagne 3€ de l’heure. Nous étions sidérés. L’Europe a certes permis l’ouverture des frontières mais c’est aussi une aubaine pour les grosses entreprises qui doivent bien se marrer en voyant les minimas salariaux de la Roumanie et de la Bulgarie.

Le lendemain, nous nous sommes réveillés tôt. Tochko nous ayant proposé un petit tour de pêche en bateau sur la mer noire. Nous sommes partis sous la brume par un temps glacial. Peu à peu le soleil a fait son apparition. C’était tout simplement fabuleux. La pêche par contre n’a pas été très bonne. Il n’en reste que cette petite balade restera longtemps dans nos mémoires. Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir pêcher sur la mer noire.

Nous avons continué la route qui longe le bord de mer jusque Tsarevo. Nous en avons profité pour visiter Sozopol, autre belle cité antique, un peu moins touristique que Nessebar. Un peu plus tard dans la journée, nous avons rencontré un couple de français qui voyage à vélo et nous avons passé la soirée avec eux.

Olivier et Karine rejoignent Istanbul avant de s’envoler pour l’Inde à la fin du mois de novembre. Nous avons suivi à peu près le même chemin depuis la France. Ils sont aussi passés par la Pologne et l’Ukraine. C’était chouette de pouvoir échanger nos impressions sur les pays traversés et de passer du temps avec eux. Ils sont partis pour un an. Après l’Inde et le Népal, ils ont prévu de parcourir l’Asie du Sud-Est et de profiter de belles chaleurs. J’avais demandé un billet d’avion pour la Thaïlande pour mon anniversaire mais je crois que Sandrine n’a toujours rien fait. L’hiver approche pourtant, je ne sais qu’en penser. Dois-je m’inquiéter ?

En attendant, le poste frontière le plus à l’est pour rejoindre la Turquie se trouve à Malko Tarnovo. Nous ne pouvions malheureusement pas suivre la côte et avons quitté la mer noire après Tsarevo. La route qui mène au poste frontière serpente entre les montagnes dans un parc national. On nous avait indiqué que cela allait être dur. Les camions l’évitent à cause du dénivelé et il n’y a que deux petits villages sur 60km. Nous avons donc fait le plein d’eau et de nourriture avant d’aborder les premiers virages, prêts à tenir un siège de plusieurs jours, enfin deux. Ce ne fut pas si dur au final, ça monte certes mais doucement et le soleil nous a accompagné tout le long du chemin. Les paysages automnaux étaient très beaux.

Il nous reste à peu près 350km avant de rejoindre Istanbul. Nous avons dû encore une fois revoir notre itinéraire. La roue du vélo de Sandrine fait grise mine, nous devons absolument faire halte dans une grande ville pour la changer. Ce sera certainement Kirklareli.

PS : au même titre que la Palinka en Roumanie, la Rakia semble être un sport national en Bulgarie. Elle peut être réalisée à partir de n’importe quel fruit. Nous en avons goûté au raisin, à la figue, à la prune et à la tomate. Les bulgares que nous avons rencontré en produisaient entre 100 et 200l par an. Ça fait quand même beaucoup pour un seul homme.

Ronan

STATISTIQUES

Statistiques 1er mois 2ème mois 3ème mois 4èe mois 5ème mois 6ème mois TOTAL
kms parcourus 945 861 577 798 884 741 4806
dénivelé ascendant 7140 5179 3422 5283 5650 5229 31903
jours pédalés 24 24 17 22 24 23 134
kilomètres : jour pédalé 39 35,43 33,94 36,27 36,83 32,21 35,87
dépenses journalières 26,3 34,60 € 26,58 28,73 24,29 € 25,18 € 27,64 €
hébergement %
camping sauvage 10 15 11 11 14 14 75 41,21%
camping payant 8 13 18 17 7 63 34,62%
Hôtel / pension 0 3 8 11 6,04%
réseau d’hébergement 7 7 3,85%
invitations 5 3 3 7 8 26 14,29%
TOTAL 182

 

 

 

 

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Bulgaria

Brasov nous a finalement retenus quelques jours. Nos hôtes nous ont convaincus de rester. Il faisait peut-être plus chaud sur la côte, mais pas suffisamment pour y camper. Des avertissements de vent fort étaient encore en vigueur jusqu’à vendredi dernier faisant baisser la température ressentie jusqu’à 0°C le matin. Nous avons donc laissé passer la vague de froid en profitant de notre intérieur douillet pour consulter la météo trois fois par jour. Il faisait tellement froid à Brasov que nous sommes à peine sortis. Nous avons tout de même poussé jusqu’au centre-ville pour faire quelques emplettes. Comme les autres villes roumaines que nous avons visitées, une fois passés les pourtours bétonnés et inintéressants, les centres sont souvent très beaux, avec beaucoup d’édifices anciens, de grands parcs et de rues piétonnes. Cette fois, c’était un vrai tableau d’hiver, avec toits de tuiles rouges sur fond de montagnes enneigées. Nous avons pu en admirer de plus près vendredi soir, de la fenêtre de notre train. Ce n’est pas sans émotion que nous avons regardé passer tous ces sapins chargés de neige et ces hauts pics rocheux, tout blancs. Ces visions nous ont confortés dans notre choix de déplacement, d’autant que le trajet s’est finalement très bien passé. D’un terminus à l’autre. Le scénario parfait pour monter et descendre vélos, remorque et sacoches, libérés du stress des deux minutes d’arrêt. Les six heures sont vite passées, entre jeux, repas et repos. Notre arrivée à Constanta à 23h10 était froide et silencieuse ; seuls sur le quai de la gare à préparer les vélos dans le vent glacial. Nous étions bien contents d’avoir accepté l’offre d’Adi et de Xandra. Ils avaient demandé à des amis de nous trouver un hôtel pour nous faciliter la tâche en arrivant. Merveilleuse idée. Nous avons rapidement pu rejoindre l’hôtel Florentina et nous écrouler sur le lit après avoir rendormi les enfants, plutôt surexcités.

Le lendemain matin, nous avions une idée en tête : découvrir qui était le couple voyageant à vélo et dont nous avions vu le tandem dans le hall d’entrée. Ronan, devant le magnifique Lapierre avait opté pour des Français. Il avait eu bon. Christophe et Béatrice vivent près de Toulouse et sont partis de Munich pour rallier la mer noire en 28 jours. Ils ont suivi l’Eurovélo 6 mais en étaient très déçus, surtout de la partie roumaine. L’itinéraire leur a fait traverser des paysages inintéressants, loin du Danube, et emprunter de grosses routes avec beaucoup trop de trafic. Quelques jours plus tôt, ils avaient chuté sur la chaussée en traversant un passage à niveau et ont eu très peur. Il y aurait eu un camion derrière et s’en était fini… Nous avons partagé sur nos expériences traumatisantes réciproques. Il est vrai que la Roumanie est le seul pays où nous nous sommes sentis en danger lorsque nous avons dû emprunter des nationales avec des camions.

Cette rencontre nous a confortés dans nos choix et dans la liberté d’itinéraire que nous nous sommes donnée depuis le départ. Il est vrai que prendre des décisions n’est pas toujours facile pour nous et entre nous. Nous nous obstinons quelques fois (à peine…) et nous changeons souvent d’idée, ce qui nous fait perdre beaucoup de temps, mais nous finissons toujours par être d’accord et avançons alors avec le sentiment d’aller exactement où nous avons envie d’aller. Pour en avoir suivi quelques-uns, les itinéraires cyclables nous ont plutôt donné l’impression de nous rendre idiots et peu intuitifs (c’est vraiment sans aucun jugement pour ceux qui apprécient les itinéraires cyclables). Nous passions nos journées à chercher et à suivre les panneaux, sans nous demander si c’est vraiment là que nous avions envie d’aller ou si le chemin emprunté était vraiment le plus adapté.

Reprendre la route fut un peu difficile. Surtout au départ de Brasov. Adi nous a tellement déconseillé d’aller à Istanbul en suivant la côte bulgare qu’il a réussi à nous faire douter. J’ai essayé de le rassurer en lui expliquant que nous n’étions pas tout à fait fous ; nous prenons soin de nos enfants et ne voulons en aucun cas les mettre en danger, s’il fait trop froid nous ne dormons pas dehors (enfin, pas toujours…) et s’il le faut nous prendrons un autre transport pour nous avancer. Mais à trop vouloir le convaincre, c’est une partie de ma confiance que j’y ai laissée. Je me suis donc retrouvée démoralisée et stressée par la température et par la route à prendre.

Le soleil de samedi matin et les prévisions météo plutôt favorables pour la semaine ont réussi à me remonter le moral. C’est donc confiant que nous avons enfourché les vélos pour rejoindre le centre-ville en quittant l’hôtel. Nous avons aperçu la mer de loin, juste après avoir vu notre premier panneau directionnel indiquant « Istanbul ». Euphoriques, nous avons pédalé jusqu’au belvédère où nous avons mangé, au soleil et à l’abri du vent, en regardant cette Mare Neagra. Immense, belle, bleue turquoise lorsque le soleil brille. Elouan était aux anges. Après l’excitation de la neige, celle des retrouvailles avec la mer était d’un bon calibre. Nous lui avons promis que nous camperions sur la plage le soir venu. Chose promise, chose due. Nous nous sommes trouvé un petit coin de sable, jouxtant le mur d’une installation hôtelière fermée pour la saison.

À notre arrivée sur la plage, un jeune couple ramassait des coquillages avec leur petit bébé de quelques mois. Nous leur avons demandé conseil pour camper et avons entamé la discussion. Quelques minutes plus tard, la jeune femme nous propose de faire une prière pour nous. Un peu gênés, nous acceptons. Elle ferme alors les yeux et se met à remercier le seigneur. Elle lui demande de nous protéger et patati et patata. Elle en profite pour lui demander de nous faire croire en lui… Avant de partir, elle me prend à part pour m’expliquer ce qu’elle a ressenti durant la prière. Et là, c’est parti pour un tour! Elle essaie en quelques minutes de me faire croire en Dieu! J’essaie de rester concentrée sur ce qu’elle me dit en guettant Yanaël du coin de l’oeil qui s’empiffre de sable et Elouan grimpé en haut de la chaise de surveillance de plage. Je commence à m’impatienter et lui explique calmement que je respecte profondément tous les croyants de cette terre, mais que pour ma part je suis athée et que ma rencontre avec Dieu ne s’est pas encore produite… Je prétexte le besoin d’aller monter la tente avant qu’il ne fasse trop froid et empoigne Yanaël. Au même moment, Ronan arrive et elle en profite pour lui rejouer la même scène. Visiblement plus poli que moi, il est revenu tout ému avec ses deux pots de fruits au sirop. Un peu plus et il signait en bas de la page…

Notre première nuit sur la côte fut froide. L’idée de la plage était mignonne, mais un peu amateur. Le vent s’est levé durant la nuit et s’est engouffré sous le double toit, complètement distendu à cause des piquets dans le sable. J’avais l’impression de sentir les bourrasques dans la tente. Nous n’en menions pas large au petit matin, inquiets pour les jours à venir. Le lendemain, décidés à en finir avec notre allure d’escargot et motivés à descendre la côte à toute allure nous avons englouti les 40 km qui nous séparaient de la frontière et nous sommes campés une dizaine de kilomètres plus loin, dans un petit bois, cette fois à distance respectable de la côte. Nous avons (re)lancé l’opération «nuits froides » avec succès ; arrêter vers 17h, préparer un bon feu le soir et le matin, rentrer dès la noirceur dans la tente, mettre les chaussettes et le bonnet pour dormir. Cette fois, la nuit fut beaucoup plus agréable…

Nous sommes donc entrés en Bulgarie dimanche soir, par le poste frontière de Vama Veche, à quelques kilomètres à peine de la mer. Ce lieu de villégiature roumain, réputé pour ses rassemblements hippies et naturistes semble avoir perdu beaucoup de ses attraits. Au-delà des grandes plages de sable, ce que nous avons vu de la côte roumaine, sale, délabrée et bétonnée en grande partie, nous a plutôt donné envie de fuir. Comme pour nous faciliter les adieux. Malgré l’excitation que suscite la découverte d’un nouveau pays, le passage à une autre langue est un peu rude, surtout après 38 jours en Roumanie. Retour au slave après la facilité d’une langue latine. Nous fouillons dans notre mémoire pour retrouver les quelques bribes de polonais et de tchèque qu’il nous reste. Ça nous aide un peu à comprendre, mais ça ne nous sauve pas. Les différences sont importantes et la difficulté est accentuée par l’alphabet cyrillique que notre court passage en Ukraine ne nous a pas permis de maîtriser.

Ronan a fêté ses 35 ans mardi. Nous avons eu droit au plus beau paysage depuis notre arrivée sur la côte. Des falaises plongeant dans la mer avec un environnement très sauvage. On se serait cru en Bretagne. « Pourquoi se faire &#?$ durant 4500 km si c’est pour s’émouvoir devant la côte bretonne ?» s’est dit Ronan. Il était quand même heureux de retrouver la mer pour son anniversaire. Nous sommes tombés sur ce petit joyau par hasard, en cherchant une route longeant la côte, histoire de quitter la nationale que nous suivions depuis trois jours. Nous avons passé une bonne partie de la journée à nous balader sur ce très beau parc archéologique comprenant plus d’une centaine de grottes ayant été habitées durant des millénaires ainsi que les ruines d’une forteresse romaine.

Les choses se sont gâtées dès le lendemain. Les installations hôtelières ont commencé à se multiplier et en quelques kilomètres nous sommes passés d’une côte presque sauvage à des complexes hôteliers immenses et immondes, bordant de grandes plages de sable. L’entrée et la sortie de Varna furent intenses et périlleuses. Nous avons dû suivre la seule route, s’apparentant à une voie express. Epuisés et stressés nous avons réussi à nous trouver un endroit près du bord de mer pour y passer la nuit.

Pour l’instant, notre pari est réussi. Il fait chaud depuis mercredi. Le thermomètre monte doucement de jour en jour et descend beaucoup moins la nuit. Il a fait 18 degrés dans la tente les trois dernières nuits. Presque trop chaud. Après quelques jours de soleil, nous sommes passés à des ambiances de brume le soir et le matin. Nous verrons comment seront les prochains jours. Si tout va bien nous allons continuer la route jusqu’en Turquie en longeant plus ou moins la côte. Il nous reste un mois pour arriver à Istanbul.