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Carnets de route

Et maintenant?

Nous avons quitté Cluj mercredi en fin de journée, sous un ciel bien gris, empruntant la rue la plus pentue du versant sud. Sur la colline, à 600 mètres d’altitude, nous avons regardé la pluie envelopper la ville. Grande étendue urbanisée entourée de montagnes, d’où sort une quantité impressionnante de tours d’habitations. Tels des champignons blancs rectangulaires, sur sept ou huit étages, tous identiques. Les villes sont rarement belles de haut ou de loin. Surtout lorsque les environs sont si beaux. Cluj ne fait pas exception.

L’averse n’a pas tardé à nous rattraper et nous a obligés à nous réfugier sous l’auvent d’un hôtel. Nous avons regardé tour à tour la pluie s’abattre sur les vélos et l’enseigne 3 étoiles en nous demandant combien pouvait bien coûter une chambre… La perspective de monter la tente dans de telles conditions ne nous enchantait guère. Heureusement, la pluie a cessé et nous avons repris la route, un peu moins dépités. Pour reprendre notre nomadisme sans trop de brutalité, nous avons rejoint avec enthousiasme le camping où nous devions nous arrêter, six jours plus tôt.

La pluie nous accompagne presque quotidiennement depuis une semaine. Pas de manière continue, mais quelques heures par jour. Nous avons cependant droit à de belles éclaircies durant la journée, faisant grimper le thermomètre au-dessus des vingt degrés. Ça donne un bel éventail de tenues dans la journée. Les matins frais nous obligent à enfiler chaussettes et souliers, polaires et vestes de pluie, voir bonnets et écharpes. Puis à mesure que les degrés montent, nous enlevons les pelures pour nous retrouver en t-shirt et sandales l’après-midi.

Jeudi, nous avons rejoint les Gorges de Turda, à trente-cinq kilomètres au sud de Cluj. Impressionnante fracture grise au milieu des monts verdoyants. Comme si la montagne avait été déchirée et n’avait jamais réussi à cicatriser, laissant cette plaie béante. J’avais vu sur Internet qu’un sentier longeait la rivière entre les falaises, mais nous avons constaté en arrivant qu’il n’était pas praticable en vélo. Souhaitant tout de même nous y aventurer à pied le lendemain, nous nous sommes arrêtés au camping, à l’entrée du parc naturel.

Ce soir-là, nous avons encore eu droit à une belle ondée. Mais cette fois avec beaucoup plus de violence et de litres d’eau. À l’abri sous l’auvent du bar nous étions un peu inquiets de retrouver les sacs de couchage inondés après ce déluge et nous sommes entrés dans la tente à la première accalmie. Étonnamment, pas une goutte. Satisfaits, nous étions prêts à nous glisser dans nos sacs lorsque le gérant du camping vint frapper à la porte pour nous alerter. Il venait de vérifier sur internet ; ils annonçaient une « nine degrees storm » pour la nuit. Nous ne savions pas ce que cela voulait dire, mais ça semblait sérieux ! Nous ne pouvions rester là. Il nous a proposé de dormir dans une des petites cabanes à louer. Sans supplément. Branle-bas de combat dans la tente. Nous avons transféré toutes les affaires sous l’oeil paniqué d’Elouan. Déjà terrorisé par les orages, il n’aimait pas du tout l’idée que la tente puisse s’envoler pendant la nuit… nous non plus. J’ai défait la tente en vitesse juste avant la deuxième averse puis nous nous sommes installés dans ce qui ressemblait davantage à un cabanon qu’à un bungalow. Bien contents tout de même d’être sous un vrai toit.

Il n’y a finalement pas eu un souffle de vent et à peine quelques gouttes de pluie. En plus, j’ai très mal dormi. Je suis maintenant tellement habituée à dormir dans la tente que paradoxalement, la plupart des fois où nous nous faisons offrir un vrai lit, j’ai du mal à trouver le sommeil. La vue était cependant magnifique le matin au sortir de notre bunker. De chaque côté du camping s’élèvent des collines herbeuses aux pentes abruptes, sur lesquelles vont et viennent des troupeaux de brebis dont les cloches tintent en écho dans la vallée.

Nous avons repris la route en fin d’après-midi après notre petite balade dans les gorges. Mais alors que nous avions demandé conseil sur notre itinéraire, la route s’est avérée impraticable après quelques kilomètres. Plusieurs personnes dans un village nous ont fortement déconseillé de continuer. Il semblerait que le bout de la route est un chemin tellement pentu et en mauvais état que même les voitures ne l’empruntent pas. Nous avons donc fait demi-tour, nous maudissant de ne pas avoir écouté le premier papy avec sa charrette qui avait vraisemblablement tenté de nous expliquer la même chose. Retour à la case départ, nous sommes revenus tête basse au camping.

Pour la première fois du voyage, notre planification d’itinéraire est un vrai casse-tête. À part les routes principales dont nous restons le plus loin possible, il y a très peu de routes secondaires. Reste donc le réseau tertiaire. Elles sont assez nombreuses, mais les emprunter est un véritable coup de poker. Pour la même grosseur de route sur la carte nous pouvons tomber sur une route goudronnée en parfait état, sans trafic, le rêve. Nous pouvons aussi finir sur un étroit chemin de sable ou de cailloux, défoncé, avec une pente à 15 % (c’est beaucoup!).

Ce qui devait donc nous prendre une petite dizaine de kilomètres nous en aura finalement coûté plus de trente-cinq avec un détour par Turda. Notre patience aura toutefois été récompensée, car cette fin de semaine a été très belle. La route serpentait le long de rivières, toujours entourées de montagnes et de pics rocheux. Le dimanche, les églises orthodoxes débordent durant les messes matinales. Ces églises sont souvent très belles, rondes, aux couleurs vives, ornées de multiples icônes. Nous les dépassons lentement, sans bruit, enivrés par les chants majestueux qui s’en échappent et s’élèvent dans les montagnes.

La Roumanie nous offre jusqu’à présent ce que nous avons vu de plus beau, par la grandeur de ses paysages et l’extrême gentillesse de ses habitants. Dimanche fut un bel exemple. Après une journée magnifique à nous en prendre plein la vue, nous nous sommes arrêtés demander de l’eau pour le campement. Pour nous simplifier la vie, il nous suffit alors de choisir parmi toutes les personnes installées sur leur banc devant chez elles. Cette foi-ci nous avons jeté notre dévolu sur un petit groupe de femmes. Bien entendu, les questions débutent rapidement et nous avons droit aux exclamations habituelles ainsi qu’à l’attroupement pour regarder les enfants dans la remorque. Lorsque je reviens de remplir la vache à eau chez une des mamys, les poches remplies de noix qu’elle m’a offertes au passage, Elouan a déjà reçu un sac de bonbons et deux sacs de grignotines. Une dame revient alors avec une assiette pleine de raisins de son jardin, une autre avec une fleur. Puis la première repart, comme piquée dans son orgueil, pour revenir avec un kilo et demi de pêches fraîchement cueillies.

Cela fera trois semaines jeudi que nous sommes en Roumanie. Nous pensions y rester un petit mois. Nous n’en sommes pas encore à la moitié. Et bien que les journées soient encore agréables, nous sommes déjà confrontés à ce que nous redoutions ; le froid. Ils annoncent beaucoup de neige en altitude pour les prochains jours. Beaucoup de neige sur la route où nous devions passer pour traverser la dernière partie des Carpates avec passages obligés à plus de 2000m. C’est peu habituel pour la saison mais dans tous les cas nous sommes au moins une semaine trop tard. Il nous reste donc l’option est. Ce qui nous ferait longer le bas des montagnes et continuer la route tant que la température le permet. Ou l’option sud par transport en commun. Reste à vérifier qui accepterait de s’encombrer de notre barda. Et pour quelle destination ?

Nous devons prendre une décision aujourd’hui. Nous cogitons là dessus depuis deux jours en profitant d’un agréable camping installé entre les murs de la citadelle d’Alba Iulia, en plein centre-ville.

Sandrine

 

 

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Bienvenue en Roumanie

La route qui mène au poste-frontière d’Halmeu pour passer de l’Ukraine à la Roumanie reste certainement la plus mauvaise que nous ayons empruntée depuis notre départ. Je ne sais même pas si le qualificatif de route s’applique encore pour ce genre de chemin. On ne peut plus vraiment parler de nids de poule, cela ressemble plus à un espace lunaire rempli de cratères ou à un champ de mines. Question sécurité, aucun problème. C’est la première fois que nous pouvons presque doubler les voitures aussi gênées que nous à essayer d’éviter ces trous béants. Nous mettrons finalement plus de deux heures pour avaler dix petits kilomètres avec les enfants chahutés dans la remorque.

Nous nous sommes dit avec Sandrine qu’ils avaient dû laisser la voirie dans cet état pour dissuader les Ukrainiens de se rendre en Europe. Nous apprendrons plus-tard que la Roumanie ne fait pas partie de l’Espace Schengen. Par conséquent, les passages de frontière s’effectuent surtout depuis la Hongrie.

Arrivé le premier devant le douanier, heureux d’en avoir fini avec ce tronçon défoncé, je m’arme du plus beau sourire et pour toute réponse, le fonctionnaire m’adresse un « Niet Bicyclette » qui me laisse perplexe. Il nous explique en ukrainien que le seul passage autorisé pour les vélos se situe en Hongrie, à une trentaine de kilomètres à peine, mais nous ne voulons pas vraiment faire demi-tour et cela nous retarderait de quelques jours.

Heureusement, nous avions lu quelques jours plus tôt sur Internet que la même aventure était arrivée à un autre cycliste. Il avait fini par traverser en se faisant embarquer dans une voiture. Nous avons attendu sagement sur le bord de la route qu’un des douaniers nous propose cette solution, ce qui n’a pas tardé. Nous avons fait le pied de grue, en espérant voir apparaître au loin, un véhicule suffisamment grand pour accueillir notre chargement. Au bout d’une heure, une fourgonnette noire s’est présentée. Le chauffeur a gentiment accepté de nous transporter de l’autre côté de la frontière. Ce fut un peu compliqué, mais les douaniers désireux de nous voir disparaître au plus vite se sont arrangés pour que tout rentre en forçant un peu. Sandrine s’est retrouvée devant avec Yanaël sur les genoux. Pour ma part, ce fut derrière avec Elouan, mais sans sièges pour nous asseoir. Nous avons franchi la zone rouge, là où commencent les contrôles frontaliers et les visages jusqu’ici plutôt sympathiques des fonctionnaires ont laissé place à des figures fermées et des regards suspicieux. Notre chauffeur avait l’air un peu tendu. Il a pris nos passeports et sorti quelques billets de son portefeuille qu’il a glissés dans le sien. Nous avons un peu halluciné, mais graisser la patte des douaniers semble être monnaie courante dans cette porte d’entrée vers l’Union européenne.

Au final, tout s’est bien passé. Nous sommes arrivés en Roumanie vers 18 h et notre chauffeur nous a laissés au bord de la chaussée et aidés à décharger notre matériel.

Nous étions un peu tristes. L’Ukraine nous avait offert un voyage dans le temps. Ces premiers jours en Roumanie nous ont ramenés à la triste réalité d’un monde moderne. Adieu Ladas, routes défoncées, charrettes et dépaysement. Ici, les routes sont neuves et empruntées par de grosses voitures. Les champs de maïs se succèdent à perte de vue et défigurent la campagne. Ça sent bon la prospérité, merci l’Europe, merci FEDER (Fonds Européen de développement régional).

Nous sommes restés deux jours à Satu Mare à 50 kilomètres de la frontière. Nous sommes repartis samedi 31 août, jour de l’anniversaire de Sandrine qui se voyait mal fêter ces 32 ans dans cette ville un peu déprimante. En quête d’un restaurant, nous avons finalement atterri dans un champ de maïs dans la lointaine banlieue à manger des croquettes de poulet. Un anniversaire qui restera certainement dans les annales.

Nous entamions le mois de septembre légèrement déprimé. Les choses se sont pourtant rapidement améliorées et depuis une semaine, chaque jour nous apporte notre dose de joie et de béatitude.

Nous avons quitté les routes principales et avons suivi les plus petites pour nous perdre un peu dans les Maramures. Les champs de maïs ont fait place à de jolies collines et à des pâturages à perte de vue. Nous profitons d’étendues sauvages peuplées de moutons et de bergers installés là pour la transhumance. L’un d’entre eux nous a proposé de passer la nuit sous une petite pergola alors qu’un orage approchait. Un abri sous les arbres installé par la mairie, qui nous a permis d’être au sec. Notre berger et son troupeau sont revenus nous voir dans la soirée. Il nous a proposé du lait, a pris une de nos tasses, a trait sa chèvre et nous l’a redonnée remplie à ras bord. Un vrai délice.

Deux jours plus tard, nous avons fait halte dans un petit village à l’heure du déjeuner. La toute petite épicerie débordait de monde et comme souvent, notre attelage a vite attiré le regard des gens adossés sur le bord de la clôture. Des gitans sont d’abord venus nous parler. Ils travaillaient dans le commerce du métal et repartaient en France d’ici quelques semaines. Puis, un jeune homme parlant français nous a invité chez lui pour prendre une douche et nous reposer. Peu fatigués et vu l’heure, nous avons décliné son offre. Une heure plus tard, à peine repartis, il est repassé devant nous en voiture et nous a proposé de venir prendre un café. Nous l’avons alors suivi jusque la maison de ses beaux-parents. Nous avons passé le reste de l’après-midi en compagnie de cette adorable famille. La table s’est vite chargée de victuailles et nous avons passé un moment très agréable. Roxanna et son mari habitent la région parisienne depuis 4 ans. Nous avons pu longuement échanger avec eux. Comme en Pologne, la Roumanie voit ses enfants quitter le Pays pour tenter leur chance à l’Ouest. Il semble que cela soit un peu difficile. Comme le dit si bien Roxanna, l’idéal serait de travailler en France et d’habiter en Roumanie. Nous sommes repartis les sacoches chargées de produits fait maison et notamment 1,5 l de palonca (alcool de prune) qui va nous tenir au chaud cet automne.

Mercredi, nous avons continué notre route vers Cluj-Napoca et avons encore une fois profité de beaux paysages. Nous grimpons et descendons ces montagnes toute la journée. C’est un peu usant, mais c’est aussi tellement grisant quand on arrive au sommet et que nous pouvons profiter du panorama souvent grandiose. Le soir, alors que nous cherchions un endroit pour mettre la tente, un couple de quinquagénaires nous a offert une chambre dans leur petite maison. Encore une fois, nous avons été gâtés. La dame s’est occupée des enfants, nous a servi à manger, elle m’a même aidé à laver Yanaël. Nous avons eu droit à une vraie leçon de comment vivre en autonomie à la campagne. Une vraie petite ferme avec poules, vaches et cochons qui leur permet de manger tout au long de l’année. Ils cultivent également 11 hectares surtout pour les céréales essentiellement destinées aux animaux. Bien évidemment, le pain est réalisé sur place. Ils vont même un peu plus loin puisqu’ils font pousser leur blé et font leur propre farine. Avec tout cela, ils trouvent encore le temps d’aller visiter leurs enfants exilés aux quatre coins de l’Europe.

Finalement, nous sommes arrivés à Cluj jeudi soir un peu exténués après 9 jours à rouler sans véritable pause. Sans camping à l’horizon, un peu exténués après les 56 kilomètres avalés dans la journée, Sandrine était prête à nous payer l’hôtel. Mais elle ne sort pas si facilement que ça l’argent de ses poches. Elle a remarqué une église avec un beau jardin et a tenté sa chance pour savoir si nous pouvions y mettre la tente. Demande acceptée à notre plus grande joie.

Le soir, la femme du prêtre, Codruta, est venue nous apporter des fruits et des légumes. Le lendemain matin, elle est revenue avec un délicieux petit déjeuner et nous a ouvert en grand les portes de sa maison. Après les douches et la machine à laver, elle nous a offert un succulent repas et nous avons passé le reste de l’après-midi à discuter. En fin de journée, nous voyant un peu découragés de reprendre la route, ils nous ont proposé de dormir chez eux. Encore une fois, nous avons passé une excellente soirée. Liviu a étudié deux ans à l’institut catholique de Paris. En plus d’être prêtre, il est professeur de théologie et parle un français châtié. Codruta est enseignante dans une école maternelle. Elouan a passé une excellente journée, il a pu s’amuser avec Timothée, leur adorable petit garçon de 2 ans. Nous sommes repartis de chez eux, tout revigorés, le cœur rempli par cette belle rencontre.

Notre passage à Cluj était aussi l’occasion de pouvoir faire quelques emplettes et trouver le matériel qu’il nous manquait. Alors que nous étions devant le Decathlon, un couple est spontanément venu nous parler et nous a offert de rester dans un de leur appartement vacant. Nous profitons donc depuis samedi du confort d’un habitacle de béton au 8e étage d’une tour à deux kilomètres du centre-ville. Nous apprendrons finalement que Stefan est le président du club de cyclotourisme de Cluj. Il a à son actif la traversée de l’Amérique du Sud et d’une partie de l’Afrique. Il parle 7 langues et s’exprime dans un français coloré par un léger accent africain, fruit d’un séjour de 3 ans au Congo. Diane sa compagne est burundaise et habite en Roumanie depuis un an.

Que dire d’autre. Comme tant d’autres cyclistes, nous sommes sous le charme de ce beau pays de montagnes et de ces gens si chaleureux et généreux. Il est vraiment triste de voir à quel point les Roumains jouissent d’une mauvaise réputation en Europe de l’Ouest à cause des tziganes trop souvent associés à la Roumanie. Pour preuve, Liviu nous racontait qu’à Paris il n’osait plus dire qu’il était roumain, les gens changeant d’attitude à chaque fois qu’il le mentionnait.

Depuis le 2 septembre, nous aurons dormi deux fois dans la tente. Nous profitons agréablement de cette parenthèse pour recharger les batteries. La famille cycliste est un peu malade. Je suis le seul rescapé d’une épidémie de grippe. Nous savons aussi que le retour sur la route va être difficile. Nous avons rarement séjourné deux jours de suite à l’intérieur et on s’habitue vite au confort d’un appartement. Le retour au petit matin frisquet en sortant de la tente risque de nous plomber un peu le moral. En attendant, on en profite, nous verrons bien ce que la suite nous réserve.

Ronan