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Ukraïna !!!

Les quelques jours de repos à Snina auront été bénéfiques pour mon coccyx et pour notre moral. La douleur provient d’un abcès infectieux, mais l’os n’est pas endommagé comme je le craignais. Le médecin à l’hôpital proposait de me faire une petite incision pour vider le tout. L’histoire aurait été réglée en cinq minutes m’assurait-il, mais il m’aurait fallu une semaine de repos (du) derrière. Grande consolation par rapport aux nombreuses semaines d’arrêt que nous avions envisagées, impliquant nécessairement un déplacement plus au sud, en bus, train ou avion, histoire de ne pas rester coincés dans les Carpates au mois d’octobre. Seulement la perspective de rester encore une semaine à Snina ne nous enchantait guère. Surtout que la douleur a fini par diminuer et que je n’avais plus l’impression d’être un cas urgent. Le diagnostic m’a donc suffit. Nous allions reprendre la route et nous arrêter plus loin, plus longtemps si la douleur m’y obligeait, dans un autre endroit, sans doute plus agréable et pratique à visiter que cette ville dépourvue d’attraits.

Nous avons repris la route jeudi direction l’Ukraine. Pays dont je rêve depuis des années et qui a bien failli me passer sous le nez. Nous devions initialement y passer le mois de septembre, mais nous avons réalisé depuis longtemps que les températures et notre vitesse de croisière ne nous permettaient plus une telle avancée vers l’est. Ajoutées à cela, les nombreuses critiques négatives (routes défoncées, chauffards, vols etc.) auxquelles nous avons eues droit durant les dernières semaines ont eu raison de la motivation de Ronan. Ayant déjà vécue ce type de désinformation déroutante mais inexacte envers un pays, j’ai tenu bon et réussi à conserver le plus court transit (à peine 200 km) entre la Slovaquie et la Roumanie. Les postes frontières n’étant pas si nombreux, c’était cela ou rien.

Nous avons fait le bon choix !

Le passage d’une vraie frontière internationale nous a fait réaliser à quel point nous naviguions dans une zone de confort : l’Union Européenne ! Même les pays frontaliers, tels la Pologne et le Slovaquie, déjà bien à l’est pour nous, s’enorgueillissent bien de leur appartenance à ce géant économique. L’Ukraine est juste à côté mais ce n’est visiblement plus la même cours d’école. Même les douaniers ukrainiens ne comprenaient pas pourquoi nous voulions transiter par leur pays plutôt que par la Hongrie. Ronan non plus… Encore qu’il a bien failli faire demi-tour devant le « Good luck » du douanier.

Pourtant, je peux difficilement décrire la joie qui m’habite depuis ce simple passage frontalier. Nous avons l’impression d’avoir fait un véritable saut dans le passé. Les routes sont bel et bien défoncées mais c’est avec un énorme sourire et les yeux grands écarquillés que je navigue entre les trous…. Ébahie devant ce tableau parfait ! Aucune des voitures que nous avons croisé durant les deux premiers jours ne passeraient le contrôle technique. La grande majorité sont des Ladas des années ’70, ’80 (et encore). Quand ce n’est pas les charrettes en bois, tirées par un ou deux chevaux, trimbalant les familles au grand complet pour la corvée de lavage au bord de la rivière. Cette région très reculée des Carpates nous offre de somptueux paysages de montagnes verdoyantes. Dans les vallées en contrebas, les familles sont réunies dans les champs pour la récolte des pommes de terre, courges et autres cucurbitacées. Il semble que chaque famille a son petit lopin de terre à l’extérieur du village.

Les villes, quant à elles, sont d’une magnifique laideur. Immeubles en béton, sans autre charme que celui de n’avoir pas été entretenus depuis leur construction. Étales de fruits et légumes sur les bords de routes, petits kiosques faisant offices de boulangeries, café, magasins. Vélos rouillés, piétons, vieilles voitures soulevant la poussière des rues garnies de majestueux nids de poules. On se croirait en Orient. Et c’est extraordinaire ! Je passe mes journées à répéter ce mot. Et à tenter de m’imprégner suffisamment de ces ambiances pour ne pas les oublier. Nous ne savons pas si le reste de l’Ukraine est aussi pauvre et rurale. Certainement pas partout. Mais nous aurions plutôt imaginé de telles ambiances dans la partie plus à l’est du pays. La région des Carpates est réputée pour être beaucoup plus occidentale, ayant fait partie de l’empire Austro-Hongrois jusqu’au début du 20e siècle. L’ukrainien est d’ailleurs très proche des autres langues slaves que nous côtoyons depuis presque deux mois et demi.

Ronan, moins enthousiaste que moi, s’est cependant laissé convaincre samedi. Des hommes assis à une petite terrasse de magasin m’ont fait signe de venir alors que nous passions. J’ai pédalé plus vite pour rejoindre Ronan et lui dire qu’on nous avait hélés. Respectant notre nouvelle règle qui veut que l’on ne refuse jamais plus une invitation, peu importe l’heure de la journée, nous avons fait demi-tour. Igor, Youri et Petro (ce n’est même pas une blague) nous ont offert vodka et rigolades tout en se relayant pour fournir Elouan en glaces et bonbons. Ils nous ont finalement proposé de nous payer une chambre d’hôtel pour la nuit. Nous n’avons pas pu refuser. C’est donc dans notre chambre du « Komfort Hotel » que nous avons fini la soirée avec eux à manger des spécialités d’Azerbaïdjan. Lorsqu’ils sont partis c’est trois enfants que j’ai eu à coucher. Le plus grand semblait légèrement affecté par le « Gold of Ukraine » qu’il avait absorbé…

La nuit ne fut bonne pour personne. La journée du dimanche un peu difficile. Allégée cependant par une belle rencontre avec une famille d’ukrainiens vivant à Prague. Ils nous ont offert eau, fruits et café. Nous avons ensuite pédalé nos quelques 25km avant de nous écrouler de fatigue à 20h30. Heureusement les enfants étaient aussi fatigués que nous. La pluie nous a bercés toute la nuit. La première depuis longtemps. Nous pouvons compter sur les doigts d’une main le nombre de jours de pluie que nous avons eus ces deux derniers mois. Elle devrait toutefois persister davantage cette semaine.

Si tout va bien nous devrions passer la frontière roumaine mercredi. Ce sera certainement direction sud en quasi ligne droite, avec un petit crochet à Cluj.

Sandrine

Nous avions oublié de publier les statistiques mensuelles, les voici :

Statistiques 3ème mois :

577km parcourus

3422m de dénivelé ascendant

26,58€ par jour

11 nuits en camping sauvage

18 nuits en camping payant

 

Statistiques 4ème mois :

798km parcourus (3186km depuis le départ)

5283m de dénivelé ascendant (21 196m depuis le départ)

22 jours pédalés

36,27km / jour roulé

28,73€ par jour (29,09 €/jour depuis le départ)

11 nuits en camping sauvage

17 nuits en camping payant

3 nuits d’hébergement spontané

 

 

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À l’attaque des Carpates !

Notre dernière semaine en Pologne nous aura confirmé à quel point ce pays est attachant et vaut le détour.

Nous avons d’abord eu droit à de magnifiques paysages. Après les régions assez industrialisées de Silésie et de Malopolska, nous sommes arrivés dans une des régions les plus sauvages de Pologne. Les Beskid Niski sont certainement un des plus beaux coins que nous ayons traversé jusqu’ici. Des petites montagnes boisées à perte de vue, des villages typiques, des routes sans voiture, des églises en bois tous les dix ou quinze kilomètres, une épicerie tous les vingt kilomètres. Un vrai paradis pour nous.

Nous avons également eu la chance de faire de belles rencontres qui nous ont permis d’avoir une lecture un peu plus précise de la région. Artur, un prêtre qui nous a proposé de planter la tente dans son jardin nous a raconté longuement l’histoire de cette région. Nous avons appris que les montagnes de Beskid Niski ont été peuplées par des bergers orthodoxes itinérants venant d’Ukraine et de Russie. Ils se sont progressivement installés dans cette région à partir du XV siècle et y ont apporté leurs coutumes et traditions, à savoir le cyrillique et l’orthodoxie. Ils ont été surnommés plus tard les Lemkos et c’est eux qui ont construit ces si belles églises en bois. Leur histoire est pourtant tragique. À la fin de la seconde guerre mondiale, les cartes ont été rebattues et les frontières redessinées. Cette région qui appartenait à l’Ukraine est devenue polonaise. Mécontente, l’Armée Révolutionnaire Ukrainienne a continué à sévir dans la région pendant deux ans. En guise de représailles, le gouvernement Polonais a décidé de déplacer l’ensemble des Lemkos soit environ 200 000 personnes. Ils n’avaient pourtant pas grand chose à voir avec ce conflit. Les villages abandonnés ont été détruits et les matériaux récupérés ont servis à la construction des kolkhozes dont on peut encore voir les traces dans la région. Ne subsistent de ces villages que les cimetières abandonnés et quelques vestiges.

C’est finalement ça aussi de voyager à vélo. J’ai parfois l’impression d’avoir un grand livre d’histoire et de géographie ouvert devant les yeux et de découvrir des nouvelles pages de l’histoire de l’Europe de l’est au fil des rencontres et des lectures.

Avant cette rencontre avec Artur, nous avons eu droit à d’autres beaux moments de convivialité. À Rajbrot, alors que nous demandions la permission de planter la tente dans un champs, c’est la moitié du village qui s’est mis en tête de nous trouver un toit pour la nuit. Après bien des tergiversations, nous avons finalement atterri chez Josef, un polonais qui fait les vendanges chaque année en France depuis vingt ans. Ce fut assez spécial. Nous n’avons pas vraiment pu parler avec lui. Il s’est rapidement retiré dans ses appartements nous laissant la maison à disposition. Nous ne saurons jamais si c’était de la politesse ou de la timidité.

Le lendemain, nous nous sommes fait arrêter au sommet d’une côte par une gentille dame Bogumila. Elle nous a d’abord offert un verre d’eau mais rapidement les plats se sont succédés sur la table sans que nous puissions dire un mot. Nous avons d’abord eu droit à une soupe, puis une assiette de fromage et de pâté, du pain, des œufs, des concombres et des tomates, des pommes séchées et des gâteaux pour accompagner notre café. Ce fut un peu déroutant, surtout que notre hôte n’a pas voulu nous accompagner pour ce festin, elle nous a simplement regardé manger. Nous avons passé une partie de l’après midi avec eux sur leur magnifique terrasse avec vue sur les montagnes avoisinantes. Elle et son mari sont producteurs de concombres et propriétaires d’une très grande exploitation agricole.

Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. La semaine dernière, alors que les Carpates nous sont tombées dessus un peu par hasard, je ne voulais plus avancer. Marre de monter ces côtes à 12 % qui vous cassent les jambes sous un soleil de plomb. C’est sûr, c’est beau la montagne mais je peux vous dire que nous n’en voyons plus beaucoup des cyclistes dans ces recoins montagneux. Nous avons donc procédé à une réorganisation drastique des sacoches à Nowy Sacz. Résultat, 12kg de matériel renvoyé en France : mon porte bagage avant, mes deux sacoches avant, des pièces de rechange pour les vélos, du matériel électronique, un tarp, un thermos, le sac de couchage de Yanaël et plusieurs livres et cartes que nous n’avions toujours pas renvoyés. Nous avons cependant gardé notre petite cafetière dont je ne me séparerai pour rien au monde. Je suis le grand gagnant de cette cure d’amaigrissement. Me voilà léger comme une plume avec mes 55 kg de bagages.

Nous avons quitté la Pologne vendredi pour nous rendre en Slovaquie. Nous n’aurons malheureusement pas le temps de découvrir en profondeur ce petit pays que nous allons traverser rapidement. Ce fut pourtant un véritable choc à notre arrivée à Medzilaborce à 10km de la frontière polonaise. Une vingtaine de tziganes sont venus nous entourer pour voir de plus près notre attirail et nous poser des questions sur notre voyage. Ils avaient l’air gentil mais leur attitude un peu frondeuse nous a déstabilisée. Pour la première fois depuis que nous sommes partis, nous trouvons nos enfants propres à côté de ceux que nous voyons. La Slovaquie abrite une des plus grande communauté tzigane d’Europe Centrale. Elle représente près de 10 % de la population. Dans cette région reculée où sévit déjà un fort taux de chômage pour « l’homme blanc », les populations Roms sont privées de tout, exclues de toute possibilité. il existe dans ces villes et villages, de nombreux ghettos, fruits de la fin de l’industrialisation.

À Medzilaborce, il y a aussi un musée consacré à Andy Warhol. Sa mère a vécu dans les environs avant de partir pour les états-Unis. Apparemment, on peut y voir les lunettes et la veste d’Andy. Je me suis demandé si la vie était plus facile à supporter quand on avait Andy Warhol comme référence. Est ce que tous les jeunes de cette région rêvent de devenir le nouveau Warhol ?

Nous sommes au camping de Snina depuis samedi, à 30km de la frontière ukrainienne. Nous ne savons pas trop combien de temps nous allons rester ici. Sandrine souffre du coccyx depuis quelques semaines et s’inquiète un peu pour la suite. Nous espérons que quelques jours de repos lui permettent de remonter en selle.

Ronan.