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Carnets de route

Fin de la Grèce

Trop de mers tuent la mer

La Grèce est le deuxième pays, après la République Tchèque, que nous ayons eu hâte de quitter. Nous y sommes restés trois mois. C’était un peu trop. Notre choix de parcours pour la saison froide nous a fait opter pour les îles et un peu de routes côtières, de ce fait nous nous sommes coupés de la Grèce plus authentique du continent et avons surfé de lieux touristiques en lieux touristiques. Nous ne pensions pas en arriver là, mais nous sommes devenus un peu blasés de la côte, de la mer, des belles plages et des « tavernas ». Trop de « rooms to let », « tradionnal grec food », free umbrellas ».

Pourtant, nous avons eu droit en Grèce à nos plus beaux paysages. Les îles sont une splendeur ! Karpathos et l’ouest de la Crète resteront certainement nos plus belles étapes. Alors pourquoi ? Parce que nous sommes devenus paresseux au fil des pays traversés et que nous avons à peine appris trois mots de grec. Nous sommes restés dans la facilité de l’anglais que la plupart des gens parlent couramment. Même la mamie de la petite supérette à Karpathos à qui j’ai mimé un pain m’a répondu dans un anglais presque meilleur que le mien. Et parce que même si la majorité des Grecs ont été très gentils, nous avons eu peu de contacts profonds avec les gens du pays. C’est ce qui nous a le plus manqué.

Nous avons commencé à rêver de montagnes et de villages dans lesquels il n’y avait pas une seule enseigne en anglais. Nous en sommes venus à rêver de l’Albanie. Mais en attendant d’y arriver, nous ne voulions pas gâcher tout à fait la fin de notre séjour et avons tenté la « route de la dernière chance », celle qui au lieu de longer la côte passe un tout petit peu dans les terres.

Hot shower

Après l’île de Kefalonia nous avons rapidement traversé celle de Lefkada pour rejoindre le continent, motivés à y trouver notre premier camping ouvert depuis la Roumanie. Notre dernière «douche » remontait déjà à quelques jours et nous commencions à nous sentir un peu sales. Cette sensation de cheveux gras nous fait chuter directement en bas de l’échelle de la condition sociale. Notre statut bien particulier de voyageurs en vélo nous apporte souvent un vent de sympathie ou de respect, voire d’admiration. Nous sommes pourtant conscients que si nous étions exactement dans les mêmes conditions, mais sans les vélos, c’est-à-dire à dormir dans une tente avec les enfants et à nous faire à manger sur un petit brûleur dans nos casseroles noircies par la suie, nous serions plutôt perçus comme des clodos… ou des Pakistanais. Sauf qu’au-delà des préjugés, les Pakistanais sont très propres et que dans notre société, les gens sales sont surtout des malades mentaux ou des clochards (ou les deux).

Le temps doux des dernières semaines rend le débarbouillage extérieur facile, mais la toilette complète de toute la famille (corps et cheveux) nécessite une organisation que peu de bivouacs permettent. Il nous faut de l’eau à disposition, la possibilité de la faire chauffer un peu et un endroit protégé du vent de préférence (et des regards indiscrets). Dimanche dernier, nous étions donc prêts à lancer une opération lavage général et cherchions un endroit approprié pour ce faire. En questionnant un gentilhomme sur la possibilité de nous camper dans un champ, il nous mena sur une oliveraie juste devant chez lui. Un peu plus tard, alors que nous montions le camp, il est venu nous lancer un « you can come in my house if you want » (vous pouvez venir dans ma maison si vous voulez). Nous savions qu’il louait des chambres, mais il insista sur le fait qu’il ne voulait pas d’argent. Forts heureux de la proposition, nous avons remballé nos affaires illico presto. Nous imaginions déjà le bonheur d’une douche chaude, d’un lit moelleux, peut-être d’un bon repas en bonne compagnie, agrémenté d’une conversation riche sur nos vies respectives, sur la Grèce, l’économie actuelle, le prix de l’essence à la hausse, Hollande et sa maîtresse…. Nous étions tellement absorbés par nos pensées que nous l’avons à peine entendu lorsqu’il nous a plantés au milieu de sa pelouse avec un « vous pouvez vous installer où vous voulez et n’hésitez pas à me demander si vous avez besoin de quelque chose ». La tente fut donc installée sur leur pelouse et nous avons mangé dans la nuit, déçus par nos illusions et le mauvais anglais de notre hôte. Il aurait dû nous dire « garden » plutôt que « house ». Malgré leur gentillesse, nous avons peu discuté avec eux. Ils étaient très occupés à préparer le jardin pour la saison touristique qui arrive à grands pas. Nous sommes repartis le lendemain matin encore plus sales que la veille…

C’est au camping de Riza que nous avons pu faire une surconsommation d’eau chaude. Nous y sommes restés deux jours. Les deux premiers d’une belle série de cinq jours de pluie et d’orages. Nous étions heureusement bien protégés sous une infrastructure en béton du camping. Cet arrêt nous a permis de rencontrer un très sympathique Grec installé en Suisse. Il revient vivre dans une caravane quelques mois par année depuis sa retraite. Il nous a invités à partager un délicieux repas le mercredi midi, juste avant notre départ. Sa vision du pays est triste. Selon lui, la Grèce a bien changé depuis les vingt dernières années. Les gens souffrent réellement de la crise et toute cette pauvreté crée d’énormes tensions et beaucoup de violence avec les immigrés. Nous le constatons tous les jours lorsque les gens nous disent de faire attention aux Albanais et aux Pakistanais. Il y aurait plus d’un million et demi d’immigrés sur une population de dix millions. Comme nous l’avons vu avec les Bangladeshis, cueilleurs de fraises, c’est ces étrangers qui acceptent, comme partout, de faire les travaux les plus durs en étant le moins payé. Les chômeurs grecs n’aiment pas ça ! Selon Christos, cela prendra bien deux générations pour que les mentalités changent et que la situation s’améliore. C’était exactement l’avis de Stavros, en Crète.

Prison or not prison ?

« Verboten ! » (Interdit !) nous a lancé le vieux grec depuis sa mobylette en regardant Elouan sur le vélo, puis en pointant le chariot avec Yanaël. Il parlait très bien allemand, un peu trop vite pour mes oreilles et même celles de Ronan, mais nous a répété plusieurs fois la même chose. Ce que nous faisions n’était pas correct ! Nous, adultes, ça passait encore, mais les enfants, non ! Ce monsieur qui nous avait paru bien gentil la veille et dont la femme nous avait gentiment apporté du bois et des œufs durs tout chauds, nous a lancé son mécontentement au visage. Il n’avait probablement pas beaucoup dormi de la nuit, préoccupé par ces mauvais parents qui laissent leurs enfants dormir dehors par un temps pareil. Il n’était pas le seul à s’être fait du souci. Une jeune femme était également venue nous voir avant la nuit pour nous dire de faire attention (aux Albanais bien entendu) et était revenue pour nous donner son numéro de téléphone, au cas où… Elle en avait profité pour offrir des sucreries aux enfants. Elle les avaient même aidés à les déballer sous nos yeux effarés. Nous allions manger dans quelques minutes… Puis au petit matin, c’est deux autres dames qui sont venus nous offrir une dizaine d’oeufs durs ainsi que des fruits. La plus jeune regardait Yanaël avec des yeux mouillés. Un peu plus et elle le cachait sous son blouson pour s’enfuir avec lui.

C’est vrai qu’au matin il ventait fort et que les nuages se faisaient de plus en plus menaçants. Mais nous avions très bien dormi sur le petit terrain de foot du village, moelleux à souhait. Les enfants s’amusaient bien dans l’herbe. Il y a avait bien un petit bâtiment à l’abandon que nous avions hésité à squatter pour nous protéger de la pluie, mais la pelouse nous faisait davantage envie que le sol en béton, froid et un peu crasseux. Tous ceux qui sont passés nous voir ce soir-là (sept personnes) nous avaient suggéré de nous y réfugier, mais il est difficile d’expliquer à quelqu’un qui n’a jamais dormi dans une tente qu’elle est plus chaude et confortable qu’un intérieur non chauffé et que nous préférons la vue du ciel étoilé ou du soleil le matin au mur gris d’un batîment désafecté.

Nous en avions rigolé de toutes ces attentions, peu coutumes en Grèce, mais la conversation avec le grand-père à la raideur germanique n’était plus aussi drôle. « Des enfants doivent être au chaud dans une maison ! », « Si j’étais policier, vous seriez arrêtés ! » nous a-t-il finalement craché en faisant un signe de menottes sur ces poignets.

Nous avons repris la route sous un ciel gris. Les bourrasques sont devenues de plus en plus fortes, mais ce n’était pas seulement le vent qui me faisait tanguer. Les paroles du vieil homme m’avaient ébranlé plus que je ne le croyais. Il nous avait mis dans la catégorie des criminels… Sommes-nous d’horribles parents égoïstes ? Les enfants sont-ils malheureux, mal aimés ? Pourquoi suis-je certaine que cette expérience est bénéfique pour eux ? J’ai passé la matinée à reconsolider plusieurs fois le mur de mes convictions, fissuré par cette secousse psychique.

Mon enfance sur un bateau m’a ouvert un éventail de certitudes quant aux bénéfices d’élever des enfants dans un cadre de voyage et de vie en extérieur. Le voyage permet d’agrandir notre compréhension du monde, dans un cadre de jugement inversé. En s’immergeant dans une culture différente de la sienne, on s’oblige à être jugé comme étranger, et non l’inverse. Malgré son jeune âge et au-delà des petits tracas quotidiens, Elouan a acquis une conscience du monde, des pays, des langues et des différences culturelles qui lui laisseront davantage que des souvenirs d’enfance. Il observe, s’interroge, apprend les sons, les goûts. Il cherche à traduire, à se faire comprendre par les gens avec des mots simples. Je sais aussi que contrairement aux idées reçues, les enfants n’ont pas besoin de beaucoup de confort, s’ils ont la sécurité d’un cadre familial épanouissant. Elouan ne se plaint jamais du temps, au contraire. Alors que nous étions un peu traumatisés par la neige en Roumanie, il était ravi ! Il est content de mettre ses habits de pluie et de sauter dans les flaques lorsqu’il pleut et il joue à faire du parapente lorsqu’il vente, bref, il se moque bien du temps qu’il fait. Son matelas est percé depuis des mois (parents indignes que nous sommes…) pourtant il se réveille chaque matin en nous assurant qu’il a parfaitement dormi…

La situation de Yanaël est différente. Peut-être a-t-il plus souffert des intempéries, mais je me répète souvent qu’il aura eu les deux plus belles premières années qu’un bébé puisse avoir ; la présence continue de ses deux parents et de son frère, l’allaitement à volonté, des nuits collées au chaud, aucune séparation… (la situation sera un peu plus compliquée au retour, mais pour l’instant il en profite encore…) Nous aimons dire que nos enfants sont comme des poules : élevés en plein air !

J’aurais aimé expliquer tout cela et bien plus au vieil homme. Mais nous étions déjà loin et je n’aurais probablement pas pu lui faire comprendre quoi que ce soit. Une autre question me tracassait pourtant: est-ce que tout le monde pense comme cet homme ? Je me suis mise à regarder les gens avec un autre regard, plus suspicieux, et à baisser les yeux, un peu gênée. Ce midi-là, les œufs avaient un drôle de goût. Légèrement amer.

Sur le bord de la rivière Acheron, je me suis assise et j’ai regardé la grêle tombée

Notre coup de barre à tribord pour entrer dans les terres a bien payé. La route entre Shouras et Glizi nous a fait traverser une belle plaine cernée par deux versants montagneux. D’un côté de jolis vallons verdoyants, dessinés comme des vagues d’enfants. De l’autre de majestueuses montagnes, hautes et abruptes, tout en rochers. C’est à Glizi que nous avons aperçu la magnifique rivière turquoise ; l’Acheron, réputée pour le passage de ses morts… C’est tout près d’elle que nous avons passé les deux derniers jours de cet épisode pluvieux. Encore une fois protégés par le toit d’un restaurant, nous avons échappé à de multiples orages, ainsi qu’à une tempête de grêle qui s’est abattue sur la région. Le grand-père de quatre-vingts ans, propriétaire du terrain, n’en avait jamais vu de pareil, nous non plus. La gentillesse et la douceur de cet homme, de son fils et de sa petite-fille qui sont passés tour à tour pour s’assurer du confort de notre installation nous ont rapidement fait passer par dessus l’épisode un peu blessant de la veille. Au retour d’une promenade, nous avons trouvé un sac de cinq kilos remplis d’oranges et de citrons, de même que dix œufs frais. Ce soir-là, notre ami Alain rencontré en Crète nous avait rejoints et nous avons savouré ensemble une délicieuse omelette.

Les derniers jours en Grèce ont été très beaux et chauds. Après Glizi, nous avons poursuivi par l’intérieur pour rejoindre Filates par une alternance de route secondaire et tertiaire, très peu fréquentée, passant par monts et vallées, frôlant la montagne et offrant de sublimes panoramas. Les montées étaient douces et les descentes euphorisantes tant la route était belle. Nous en avons profité, sachant que l’Albanie nous réserve des pistes plutôt délabrées sur lesquelles il sera impossible de descendre à vive allure. Cette dernière partie nous a réconciliées avec le pays, sa grande beauté et la gentillesse de ses habitants. Nous pouvions imaginer les montagnes du centre, décorées de petites routes perdues et pentues. Nous nous promettons d’y revenir… en camion.

Sandrine.

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Grèce occidentale

Après notre petite pause cocooning à Athènes, nous avons repris la route, les vélos et les bagages délaissés depuis 3 semaines. Nous avions décidé de rejoindre une île, Kefalonia, dans l’archipel ionien. Les températures le jour y sont à peu près les mêmes que sur le continent à latitude comparable, mais l’insularité nous offrait davantage de confort la nuit pour bivouaquer, 4 à 5 degrés de différence.

Nous avons rejoint la gare routière d’Athènes sans encombre, presque surpris de ne pas avoir eu de problèmes pour circuler en ville. Nous avions fait un peu d’une montagne le trafic à Athènes, tout s’est finalement bien passé. À la gare routière par contre, surprise, point de bus pour Kefalonia ce jour-là. Nos plans tombaient à l’eau. Nous nous sommes rabattus sur Patra, qui était plus ou moins sur notre itinéraire. 2H30 de bus plus tard, nous arrivions dans la troisième agglomération grecque. La nuit approchant, nous avons cherché un hôtel. Nous avons été très surpris des prix pratiqués, élevés et peu négociables, si bien que nous avons atterri dans l’auberge la plus miteuse qu’il soit possible de concevoir. Une petite chambre-dortoir à 24€ pour deux, les enfants n’ayant pas à payer pour leur couchette. Pour ce prix, il fallait un peu fermer les yeux, oublier les murs couverts de moisissure, les draps sales, les sanitaires à l’abandon. On avait un peu l’impression d’être dans une auberge sur le point de fermer. Les propriétaires devaient attendre sagement que le tout s’écroule avant de s’exiler loin de ce taudis.

Le lendemain, nous avons déguerpi au plus sec et avons été nous renseigner pour attraper un bus pour notre fameuse île. Nous en avons trouvé un, mais on nous demandait 35€ pour mettre les vélos dans la soute, pour 75km. Radins que nous sommes, nous avons décidé de rejoindre Kyllini à vélo d’où nous pouvions prendre un bateau pour Kefalonia.

Ce fut un des endroits les plus quelconques que nous ayons traversés jusqu’ici. Pas une région désagréable en soi, mais une région totalement défigurée par l’activité humaine. Le cadre d’origine était plutôt bon, la mer, une belle petite plaine entourée de montagnes. Mais voilà, l’agriculture intensive était passée par là, des serres à perte de vue, peu importe où vous tourniez la tête. Après les bananes en Crète, nous découvrîmes qu’ici on cultivait la fraise et la saison était déjà bien commencée. En plus, il n’y avait pas de réseau routier secondaire, ce qui compliqua considérablement notre route pour éviter la nationale. Nous avons aussi eu droit pendant des jours à un défilé d’avions militaires au-dessus de nos têtes, nous faisant comprendre où passait l’argent du gouvernement grec.

Coup de mou

Oui, de mon côté, le retour à la vie nomade fut un peu rude. Je me demandais en mon for intérieur ce que nous pouvions bien foutre là. Il faisait froid la nuit, pas plus de 4°C. C’était moche et faute de carte, nous naviguions à vue. Après presque 11 mois de voyage, la lassitude frappait à la porte, j’avais envie de quitter la Grèce. La Feta et les feuilles de vigne farcies avaient eu raison de moi. Je voulais passer à autre chose.

Un jour, perdu au milieu d’une piste de terre, un militaire reconverti en policier arrondissant ses fins de mois dans la fraise nous apostropha. Il me regarda dans le blanc des yeux en me disant « It’s extreme what you’re doing man ! Go back home and take care of your family ! (C’est extrême ce que tu fais mec ! Rentre chez toi et occupe-toi de ta famille !) ». Je reconnaissais bien là les paroles d’un sage prophète et il n’en aurait tenu qu’à moi, j’aurai acheté des billets d’avion illico. Sandrine essaya plutôt de le rassurer en lui disant que les enfants allaient très bien, il rajouta alors : « I’m a strong man ! I fought in Kosovo, I killed men but when it comes to children… (Je suis un homme fort, j’ai combattu au Kosovo, j’ai tué des hommes, mais quand il s’agit des enfants…) ». Un peu ému, il est allé chercher des bonbons en nous disant que ses enfants à lui étaient bien chanceux…

Un peu d’Asie

Cette contrée désolée nous a toutefois permis de faire de belles rencontres. Comme je le disais plus haut, nous avons longé des serres pendant plusieurs jours. Nous fûmes surpris de constater que les travailleurs ne sont pas grecs, mais viennent pour la plupart du Bangladesh, du Pakistan ou d’Inde. Un jour, alors que nous demandions à un berger si nous pouvions planter la tente dans une oliveraie, un groupe de ces travailleurs nous rejoignit. Nur, celui qui parlait le mieux anglais nous proposa de le suivre, il avait un endroit à nous offrir où nous pourrions passer la nuit. Nous le suivirent et nous retrouvâmes aux abords d’une mare cernée de serres. Trois d’entre elles ne servaient pas à la culture, mais avaient été transformées pour d’autres usages. La première servait de salle de prière, la seconde était organisée en dortoirs et la dernière servait de cuisine et de lieu de stockage. La serre principale était composée d’un petit vestibule avec des lits et une longue pièce où s’entassaient les couchages. Les couchettes étaient faites de matelas posés sur des palettes surélevées par des caisses de lait. Chaque lit accueillait deux travailleurs, en tout, treize personnes dormaient là. Nur nous proposait de passer la nuit avec eux, ils s’arrangeraient pour nous faire de la place et nous laisser deux lits. Nous nous sentions un peu mal à l’aise, ne sachant que faire. Refuser les aurait certainement blessés, mais accepter nous aurait tous conduits à passer une très mauvaise nuit. Nous imaginions déjà Yanaël hurlant, incapable de se rendormir.

Nous avons fini par planter la tente à côté des serres et avons passé la soirée avec eux. Étrange défilé de personnages touchants et attachants, venus tenter leur chance eu Europe dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils ont acheté leur droit de passage pour venir se perdre dans ses serres. Certains au prix fort, l’un racontait à Sandrine que sa famille avait vendu la maison et la ferme pour lui payer le voyage. Aucun parmi eux ne trouve son compte ici, ils se plaignent bien évidemment ( Greece, big problem ! too much big big problem !) de leur condition de vie, entassés dans une serre, sans sanitaires ni eau potable et s’imaginent déjà un ailleurs plus flamboyant, en France ou en Italie.

Bien évidemment, ils sont payés une misère, entre deux cent et quatre cent euros par mois suivant la quantité de travail qu’on leur propose. Pas de contrat, ils travaillent quand il y a suffisamment de fraises à récolter. L’un d’entre eux nous demandait si en France on pouvait avoir les mêmes conditions de vie ou de travail. Nous nous rappelions alors la rencontre avec Herman en Roumanie qui passait six mois de l’année dans un bidonville à Paris et nous leur faisions remarquer que tristement cette misère humaine pouvait aussi être le sort qui les attend s’ils décidaient de venir en France. La plupart sont pourtant diplômés de l’enseignement supérieur et s’attendaient certainement à toute autre chose en rejoignant l’Europe. Sandrine me dit plus tard que parmi eux ils y en avaient qui comptaient rentrer au Bangladesh à la fin de la saison de fraises. Face au peu de perspective qu’on leur offre, c’est peut-être mieux, même si derrière il faut aussi assumer une forme d’échec de celui qui n’a pas réussi à faire fortune à l’étranger. C’est toujours mieux que de mentir et de faire croire toute sa vie à sa famille et à ses proches que l’on s’en sort dans cet ailleurs alors qu’en fait, on souffre et l’on a du mal à joindre les deux bouts.

Cette rencontre restera en tout cas un moment fort de notre voyage et nous ne regrettions déjà plus d’être passés par cette région qui ne nous a pas offert de sites UNESCO, mais un témoignage bouleversant sur la situation des migrants illégaux en Europe.

Secousses

Nous avons finalement rejoint le petit port de Kyllini mercredi 12 mars et avons sauté dans le ferry qui attendait sur le quai. Une traversée d’une heure pour arriver à Poros et constater qu’encore une fois nous accostions sur une île bien montagneuse.

Nous avions prévu d’aller au nord de l’île pour reprendre le bateau jusqu’à l’île de Lefkada. Encore aurait il fallu que nous sussions (imparfait du subjonctif du verbe savoir) que la route était fermée depuis peu. Deux tremblements de terre ont frappé l’île les 26 janvier et 9 février nécessitant des travaux sur la route principale. Nous avons été contraints de faire plus ou moins une boucle par le sud.

En tout cas, c’est une île très agréable, offrant des plages magnifiques et de belles montagnes verdoyantes. Nous n’en avons peut-être pas profité à sa juste valeur. Nous sommes restés dans la partie plus habitée de l’île, agréable mais pas aussi sauvage que ce que nous aurions espéré.

Contrairement aux îles que nous avons traversées jusqu’ici, la plupart des champs et des oliveraies sont clôturés rendant parfois le camping sauvage un peu compliqué. À Argostoli, nous avons demandé à un berger de camper dans le champ où paîtraient ses brebis. Il nous à répondu que c’était trop dangereux à cause des pakistanais…. Il nous a conseillé de rejoindre le ferry mis à la disposition des habitants depuis les tremblements de terre. Intéressés, nous avons essayé d’en savoir un peu plus. Les gens semblent avoir été vraiment touchés par les secousses sismiques. Il faut dire qu’il y en a eu plus de 1300 supérieures à 3 sur l’échelle de Richter en un mois et on annonce un séisme plus important encore prochainement. Il n’y a pas eu de victimes, mais la ville de Lixouri par exemple a reculé de 20cm. On imagine la sensation que cela doit faire. Nous avons nous aussi eu droit à quelques secousses, légères. Nous n’en menions pas large. Pour la première fois, notre tente semblait être l’endroit le plus sécuritaire de l’île, à condition de ne pas s’installer au pied d’une falaise…

Concernant notre fameux bateau, le gouvernement grec l’a mis en place pour tous les gens qui appréhendent de dormir chez eux en cas de nouveau séisme ou qui ont subi des dégâts trop importants. Pas très à l’aise, nous avons été demandés si nous pouvions nous aussi profiter du confort intérieur comme nous l’avaient suggéré plusieurs personnes. Nous étions curieux de voir ce qu’il en était à l’intérieur, de rencontrer des « victimes », de faire nos apprentis journalistes. Comme nous nous y attendions finalement, les militaires armés en charge des contrôles nous ont gentiment indiqué l’hôtel le plus proche…

La fin de l’hiver et la crise grecque.

Ce n’est pas sans un certain plaisir que nous avons vécu sur Kefalonia nos derniers jours d’hiver. À l’heure où nous quittons l’île, sonne pour nous le début du printemps et l’espoir de jours plus longs et de températures en constante hausse. En tout cas, une chose est sûre, nous avons gagné notre pari contre le froid et le mauvais temps. Comme partout en Europe, il semble que nous n’ayons pas vraiment eu d’hiver, nous ne nous en plaindrons pas, nous n’aurons jamais autant campé qu’en février. Comme quoi, il n’est pas nécessaire de s’exiler très loin pour connaître un peu de douceur.
Mais comme dirait l’adage  Souviens toi le printemps dernier, nous restons sur nos gardes. Tout fout le camp et surtout le temps.

Seul bémol, nous connaissons à notre tour ce que l’on aurait tendance à appeler la crise grecque. Après les visites des copains, les séjours prolongés dans des intérieurs douillets et les orgies dépensières, nous constatons irrémédiablement que les caisses se vident. Sandrine en ministre des dépenses prévoit déjà pour nous une longue austérité. Suffira t’elle à endiguer la crise ?

Ronan