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Une pause athénienne

« Mais que font tous ces gens dans notre chambre à coucher ?! »

Le ferry qui nous a menés à Athènes faisait presque partie de la catégorie des paquebots. Immense, pourvu de neuf étages comprenant bar, restaurant, magasin, discothèque, piscine ; nous avons tôt fait de nous y perdre. J’ai eu la mauvaise idée de proposer à Ronan de nous séparer en arrivant, lui promettant d’aller rapidement trouver une place où passer la nuit pendant qu’il triait les affaires à monter (sacs de couchage, matelas, pyjamas, etc.). Nous étions motivés à nous installer dans un endroit confortable du salon-bar, confiants de l’expérience de nos précédentes traversées durant lesquels nous avions vu des familles entières couchées sur les banquettes. Sauf que ce bateau était bien plus grand et luxueux que les précédents. J’ai donc dû traverser de multiples corridors et monter plusieurs étages pour finalement arriver dans un bar où il restait quelques banquettes de libres. Je m’y suis installée avec les enfants et quelques sacs, un peu inquiète que Ronan ait du mal à nous retrouver. Plus je regardais autour de moi, plus je doutais de la stratégie… les gens ne semblaient pas équiper pour la nuit et tout le monde avait au moins une consommation sur sa table. Je nous voyais mal gonfler nos matelas et déballer notre pique-nique au milieu de ce décor chromé. Mais j’étais trop inquiète de perdre ma place si je partais à la recherche de Ronan. Il est finalement arrivé quelques dizaines de minutes plus tard, un peu furieux d’avoir eu à traverser le bateau dans tous les sens pour nous trouver. En plus, il s’était fait refouler au bar lorsqu’ils ont vu ses gros sacs comprenant notre nécessaire pour la nuit. Ça commençait bien !

Je suis donc partie à la recherche d’un nouvel endroit où nous installer. J’ai repéré un bel élargissement de corridor, juste à côté des escaliers, avec moquette et suffisamment d’espace pour nous allonger sans gêner le passage. Sachant qu’il n’y avait personne à cet endroit idyllique j’ai pris la peine de vérifier si l’installation de type clocharde y était permise ; le steward qui m’a répondu par l’affirmative n’a pas paru surpris par ma demande. Nous y avons donc préparé les lits, confiants d’avoir trouvé la perle rare. Nous avons rapidement déchanté ; la circulation y était très importante. Les gens nous lançaient des regards un peu méprisants. Clochards nous semblions être, clochards nous l’étions certainement ! En plus, les spots au plafond étaient aveuglants et nous avons découvert que la discothèque était un étage plus haut, juste au-dessus de nos têtes. Des groupes de jeunes passaient en courant et en criant, bref, c’était la pagaille dans nos appartements… Alors qu’Elouan s’était endormi et que j’essayais à grand-peine d’endormir Yanaël, un autre steward est arrivé pour nous dire qu’il était interdit de dormir à cet endroit… Il a fini par accepter que nous y restions, heureusement. Le sommeil fut difficile à trouver, mais les quelques heures grappillées nous ont permis d’arriver presque reposés au Pirée, en même temps que le lever du soleil. Nous avons bien rigolé en imaginant la tête du type si nous étions allés lui demander de baisser la lumière et la musique tout en nous plaignant du passage dans notre chambre.

L’arrivée

Si nous redoutions une chose, c’était bien notre arrivée à Athènes et surtout les 15 km qu’il nous fallait parcourir à vélo pour la traverser. Forts de notre expérience à Istanbul, nous avions cette fois acheté une carte de la ville. En étudiant celle-ci, nous avons gagné en confiance, Athènes semblait avoir été dessinée comme une ville anglo-saxonne, de grands axes coupés à angles droits avec une multitude de petites rues s’étendant sur plusieurs kilomètres. Il nous suffisait d’en choisir une et de la suivre pratiquement jusqu’au centre. Ensuite nous pouvions rebondir de parc en parc et atteindre le nord de la ville sans trop emprunter de grands axes. Notre stratégie semblait bonne jusqu’à ce qu’on nous explique gentiment que nous pouvions prendre le métro avec les vélos. D’abord surpris et expliquant à la gentille dame que nous étions bien trop chargés pour ce genre d’acrobatie, les encouragements répétés par un autre jeune couple ont piqué notre curiosité. Nous avons demandé plus d’informations. « Oui, oui, le dernier wagon est accessible aux vélos. Pas d’escaliers à monter et à descendre, en plus il y a des ascenseurs dans les stations » nous sommes allés voir… Et tout était exact ! Nous avons donc pris le métro, sans changement de ligne, du port jusqu’à quelques kilomètres d’où nous étions attendus. Tout cela en à peine une heure, avec juste quelques secondes de stress le temps de descendre le tout sur le quai. Puis hop dans l’ascenseur, sans même défaire les bagages. Nous étions bien fiers d’avoir échappé si facilement à plusieurs heures de stress et de vacarme urbain.

Athènes

La densité et le niveau sonore de la ville nous ont toutefois frappés de plein fouet dès notre première balade l’après-midi. Le quartier dans lequel nous avons loué l’appartement est quadrillé par de nombreux boulevards sur lesquels défile à vive allure un flot ininterrompu de voitures, taxis, bus et mobylettes de tous types. Et le piéton n’y est pas roi. Ajouter à cela, une architecture peu intéressante : des immeubles d’habitation en béton de cinq ou six étages, tous construits sur le même modèle et à la même époque, certainement durant les années ’60-’70. Seul élément intéressant : la présence de grands balcons débordants de plantes et recouverts d’auvents en tissus. Les autres éléments un peu colorés sont principalement les graffitis qui recouvrent presque tous les murs. Nous avons émis l’hypothèse que les postes de nettoyeurs avaient dû être supprimés en premier lorsqu’ils ont cherché à faire des économies. En tout cas, ils semblent désormais faire partie intégrante du paysage. La plupart sont des tags, mais on trouve également de magnifiques fresques et dessins, partout dans la ville.

Pour sortir de ce surplus de bruit et d’agitation, il faut prendre quelques bouffées d’air et de calme autour de l’Acropole. Véritable petit poumon vert d’Athènes, ce rocher mythique sur lequel se trouvent les ruines du Parthénon, du temple d’Athéna et autres lieux sacrés, se situe en plein centre de la ville. Il est entouré d’autres sites archéologiques et de quelques parcs qui rendent les environs très agréables. Le reste du centre-ville est un méli-mélo de petits quartiers calmes et sympathiques, de gros boulevards assourdissants, de rues piétonnes bondées, de places bruyantes, de cafés, restaurants de toutes sortes. En douze jours nous avons exploré le centre et les quelques quartiers environnants, avec une petite excursion dans la montagne voisine. Il fallait au moins cela pour apprécier cette capitale. Nous avons pu découvrir de véritables quartiers authentiques, savourer quelques cafés frappés (boisson préférée des Grecs) et bières au pied de l’Acropole, découvrir le repère des coursiers à vélo, briser la tirelire pour regarnir notre garde-robe. Nous avons appris que la plupart des touristes ne s’y éternisent pas. Ils viennent visiter l’Acropole puis repartent vite vers le calme et la douceur des îles.

Ces deux semaines d’activités urbaines auront été largement bonifiées par la présence de nos amis qui nous ont offert de franches rigolades et de beaux moments de folie qui nous accompagneront longtemps. Ajouter à cela les jeux des enfants, l’indigestion de hamburgers maison et de beignets grecs, le luxe d’un appartement tout équipé et de quelques grasses matinées. Nous étions comblés !

Stéphane et Swanee

Certains peuvent penser que si nous sommes partis en voyage à vélo c’est que nous sommes nécessairement des fanas de vélo, des brutes sportives, des obsédés du deux-roues. Sachez chers amis que ce n’est pas du tout exact. Bien que Ronan soit de plus en plus intéressé par les vélos, je ne peux pas en dire autant. J’aime le vélo pour le plaisir qu’il me procure et comme moyen de transport, mais le moins je peux faire de mécanique, le mieux je me porte et un seul vélo me suffit largement. Pour ce qui est du naturel sportif, nous sommes tous deux des amis du plein air dans une juste mesure ; nous aimons bien la randonnée en montagne et je pratique un peu l’escalade, rien de bien exceptionnel… Ce bel interlude pour vous amener à vous présenter nos amis neversois.

La plupart des gens normaux choisissent le nom de leur enfant ou de leur chien comme mot de passe pour leurs ordinateurs, Stéphane et Swanee ont choisi des modèles de vélo. Alors qu’adolescente, j’avais des posters de Brad Pitt et de Leonardo DiCaprio dans ma chambre, Swanee avait plutôt des posters de VTT… La première fois que je suis allée chez eux, c’était pour un conseil technique sur mon vélo. Nous préparions le voyage et je voulais avoir un avis sur les qualités de mon vieux Peugeot qui me promenait partout depuis les dernières années. Un ami commun nous avait dit « vous devriez aller chez eux, c’est des fous de vélo, ils en ont partout dans leur appart ! ». J’ai été la première à y mettre les pieds et suite à mon expérience, Ronan s’est ensuite trouvé une excuse pour s’y introduire.. « juste pourrrr le plaisirrrr des yeuuux » (aurait dit un vieux marchand marocain). La première pièce à droite était littéralement remplie de vélo. Bien rangés les uns sur les autres, il s’agissait de leurs « vieux » vélos. Il devait y en avoir une vingtaine. Ensuite, dans leur plus grande pièce, se trouvaient leurs vélos « de tous les jours ». Au moins une dizaine. Du cyclocross au BMX, en passant par quelques DH (Down Hill), fixies, randonneuses, VTT, cruisers, etc. Certains étaient accrochés au mur, d’autres en cours de réparation ou de montage. C’était la première fois que je voyais un salon atelier pour vélo. J’ai ensuite appris qu’ils avaient tous deux fait de la compétition. Mais leur passion ne s’arrête pas là. Ancienne responsable du département vélo chez Décathlon à Nevers, Swanee a passé sa dernière année a faire les travaux dans leur nouvelle maison (oui, oui, c’est elle qui fait les travaux) ainsi que dans leur énorme garage occupé par ses nouveaux projets : une association pour apprendre aux gens à réparer leur vélo, ainsi qu’un petit magasin (de vélo, bien entendu!).

Vous l’aurez deviné, Swanee est un peu mon idole. C’est une femme passionnée et totalement débrouillarde. Sa détermination est un vrai coup de pied aux fesses de mes angoisses et de mon éternelle ambivalence professionnelle. Merci !

Sandrine

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Des nouvelles de nos amis communs

Quatre aéroports, trois avions, 12h de voyage (et un bilan carbone apocalyptique) : Nathalie et moi sommes fatigués en atterrissant à Héraklion, mais heureux d’être là. On récupère nos gros sacs, qui contiennent nos affaires de camping, et on se dirige vers le hall des arrivées de ce tout petit aéroport.

Là, les mains sur la barrière, les yeux pleins d’impatience et de joie, nous accueille Elouan. Dans sa réserve habituelle, Ronan attend en retrait. Il a la barbe folle et le visage marqué par le soleil, mais il respire la santé et la bonne humeur. Les retrouvailles sont un peu singulières, partagées entre la simplicité des rapports entre vieux amis et le vertige de tout ce que nous avons à nous dire. Voilà un an et demi qu’on n’a pas vu nos camarades, et dix mois qu’ils ont quitté Nevers pour parcourir l’Europe à vélo. Toute notre curiosité ne saurait tenir dans un simple « Salut, ça va ? »

Sandrine nous attend à l’hôtel avec Yanaël, qui sort de sa sieste. Elle nous ​reçoit avec la gaîté qui la caractérise. Tous ont bonne mine. L’ambiance est joyeuse, dans le capharnaüm de la petite chambre.

Pour nous ménager, Sandrine et Ronan se sont arrêtés dans un établissement confortable où Nathalie et moi allons pouvoir nous reposer de notre long vol. Sandrine a négocié des tarifs presque deux fois moindres que ceux de saison. On passe la soirée à discuter, pendant que les pâtes n’en finissent pas de cuire, sur la petite plaque électrique de leur chambre. Les enfants sont adorables : joviaux, gentils et bien élevés. On fait connaissance avec Yanaël, qui n’était pas né la dernière fois que nous​ nous sommes vus. Je joue aux Lego avec Élouan : il attendait ça depuis notre dernière conversation sur Skype. Les parents nous livrent de premières impressions de leur épopée, dont ils parlent avec une humilité déconcertante.

Au matin, Ronan et Nathalie partent chercher la voiture de location. Bien qu’on ait récemment découvert nous aussi les joies du voyage à vélo, il ne nous était pas possible de venir avec tout notre équipement. On a donc opté pour la formule voiture+bivouac, dont Nathalie et moi sommes coutumiers ; une expérience à laquelle nos amis sont enchantés de s’essayer, sur cette île si montagneuse. (Sandrine confessera plus tard que sans l’alibi de notre visite, ils n’auraient pas assumé de s’accorder une parenthèse motorisée.)

En attendant leur retour, Sandrine et moi allons faire les premières courses et préparons les sacs.

Après de difficiles recherches, ​les deux prospecteurs reviennent avec une voiture dans laquelle on fait entrer de toute justesse notre barda. Élouan dispose, en guise de rehausseur, d’une sacoche qui ne rentre pas dans le coffre. Yanaël, à la mode orientale, voyagera sur les genoux de ses parents. (Veuillent les grands-parents nous pardonner.) Les vélos resteront entreposés à l’hôtel.

Vroum, vroum : Nathalie met le contact, et nous voici partis pour ​dix jours d’​une heureuse itinérance en Crète.

Si l’est de l’île, par où sont arrivés Ronan et Sandrine, les avait un peu déçus, le sud et les terres centrales font l’unanimité. Je me trouve bien maladroit quant à décrire ces paysages si simples, qui pourtant me laissent bouche bée. Nombreuses oliveraies et vignobles, arbres fruitiers bourgeonnants, herbe grasse qui fleurit au fil des jours, collines douces, plaines fertiles, monts enneigés et plages d’où l’on admire les îles alentour. La nature est généreuse et accessible. Elle nous éblouit sans cesse. Les lacets des montagnes offrent des vues époustouflantes sur la mer. Moult chapelles et fontaines ponctuent la route de toute part. Les villages, toujours charmants et animés, sont peuplés d’une gente amicale et décontractée. La campagne est pastorale ; on entend toujours d’un côté ou de l’autre la sonnaille ou le bêlement d’une brebis.

Comme le temps est idéal, on peut profiter pleinement du grand air. On se baigne, on se promène, on pique-nique dans l’herbe, on veille autour du feu de camp.

Le premier soir, on s’installe dans un endroit magique où des oliviers peut-être millénaires côtoient les vestiges d’un temple antique bien plus ancien encore. Mais la nuit est perturbée par un trouble-fête, sans doute un gamin des environs, qui brise la vitre de la voiture à la recherche de quelque trésor, tandis que nous venons de nous coucher. Le voleur s’enfuit en courant quand il entend les glissières des tentes qui s’ouvrent, nous laissant avec l’embarras des dégâts.

Mais l’incident n’a pas tant de répercutions. Il nous fournit l’occasion d’une visite au poste de police, où glandouillent de sympathiques agents, et d’un shot de raki, que nous offre le garagiste chez qui on aspire les bris de verre. On poursuit notre aventure avec une nouvelle vitre en scotch transparent, étonnamment résistante et étanche.

Les quelques jours suivants, on bivouaque sur des plages, plus calmes et belles les unes que les autres, montant les tentes de préférence devant le panneau d’interdiction de camper et de faire des feux. On est toujours bien accueillis par les quelques autochtones qui surprennent notre installation.

​La matinée commence rituellement par une série de cafés dans la petite cafetière italienne que Sandrine transporte depuis Nevers. Pareil attirail prête à sourire, dans les conditions où ​ils ​voyagent, mais il faut bien dire que c’est un tout autre plaisir que celui du café soluble ! On prend tout notre temps pour le petit déjeuner, généralement suivi d’un bain de mer, au moins en ce qui concerne Elouan. Puis on remballe le matériel, et on parcourt une première portion de route, pleins d’admiration pour les paysages, jusques à l’heure du déjeuner, où on s’approvisionne pour un pique-nique, qu’on a soin de prendre sur un site avec vue panoramique. Chaque jour, on trouve le temps d’une visite ou d’une promenade. Un jour c’est un monastère pourvu d’un parc animalier ; un autre c’est un sentier à travers une palmeraie, qui nous transporte dans de lointaines contrées.

​​On cherche notre nouveau campement en fin d’après-midi, assez tôt pour avoir le temps de nous installer et de commencer à cuisiner avant la nuit. Si on a un peu de peine certains soirs à trouver notre endroit, la Crète offre une campagne globalement très propice, et pas un​e fois on ne se trouve déçus d’où nous passerons la nuit.

On avance au début par petites distances de 40-50 kilomètres​ : pas beaucoup plus qu’à vélo, mais avec des dénivelés qu’on n’aurait pas osé affronter autrement. Puis la géographie montagneuse nous force à de longs détours pour rejoindre l’extrême ouest de l’île. On fait escale à Chania, joli petit port Vénitien où on passe une nuit en hôtel et où on saisit l’occasion de laver notre linge.

La côte occidentale diffère assez de ce que nous avons vu précédemment, plus aride, plus brutale. Le temps se gâte un peu. Pour se protéger d’un possible orage, on passe une nuit dans le chantier abandonné d’une villa avec vue sur mer. Cet intermède nuageux est juste suffisant pour nous rappeler la chance que nous avons depuis le début côté météo. Le soleil fait son retour le lendemain.

Le dernier soir, suite à la recherche infructueuse d’un site archéologique qui paraissait accessible sur la carte, on campe, à seulement 200 mètres d’altitude, dans un véritable paysage de montagne. Autour du feu, on fait le bilan enthousiaste de cette belle échappée.

De soir en soir, tous les sujets passent dans ces conversations de coin de feu. Bien entendu, les questions pleuvent quant au voyage. Faire un bout de route avec nos amis nous offre l’opportunité d’entendre parler de leur aventure sous de nombreux aspects. Comme nous aussi avons des projets de voyages, on parle souvent de technique : quel équipement est utile, quel matériel est solide, quelles dépenses sont fécondes. Après dix mois de bourlingue, ils ont cassé ou perdu la moitié de leur attirail, et l’autre moitié a atteint un niveau d’usure avancé, à tel point que les ouvriers agricoles payés au lance-pierre les prennent pour des déshérités. Mais ces aléas contingents ne semblent plus les affecter. Ils s’accommodent de tout. L’expérience semble les avoir à la fois endurcis et rendus plus souples. Dans leurs sacs de couchage de campeurs du dimanche, ils ne ressentent pas la fraîcheur nocturne différemment de nous qui dormons dans des duvets de première qualité. Ils ont toutes les astuces pour dénicher les meilleurs endroits où planter la tente et cuisiner au feu de bois. Leurs tempéraments aussi ont évolué en ce sens. Chacun vante la patience et la souplesse acquise par l’autre.

Quand on les interroge sur les erreurs qu’ils auraient pu commettre, ils expliquent qu’ils ont voulu faire trop vite au début : pas assez de temps pour les crochets improvisés, et pas assez de temps à consacrer aux enfants, qui ont d’abord eu du mal à s’adapter à la vie nomade.

Mais ceux-ci s’épanouissent en plein à présent. Yanaël a les sens en éveil et s’abreuve des mille curiosités de la nature. Élouan est d’une débrouillardise bluffante. Il est également avide de comprendre toute chose et s’exprime avec clarté et précision.

On parle de l’écriture en voyage, qui occupe tout un pan de leur esprit. Imaginiez-vous que les mises à jour du site les tient ocuppés pendant deux jours, entre la rédaction d’un article, la sélection des photos, la modération des commentaires, etc. ? Les anecdotes pleuvent à propos des situations cocasses auxquelles ils ont été confrontés et des rencontres émouvantes qu’ils ont faites. Toutes ne sauraient figurer dans les carnets de route. Ils ont leurs amis de voyages, cyclistes ou baroudeurs en camions aménagés, qu’ils croisent au hasard des routes de chacun ou avec qui ils communiquent sur internet.

On évoque aussi leurs projets d’avenir. Sandrine voudrait se consacrer davantage à la photographie, et y tenter sa chance à titre professionnel. Elle parle aussi des deux causes qu’il lui tiendrait à coeur de défendre : celle des migrants, celle des femmes. Ronan, partagé entre ses deux tendances, passionné autant que mesuré, est plus incertain. Il se répète la devise qui dit qu’il ne faut pas faire de sa passion son métier. Il envisage de fabriquer des cadres de vélos, ou bien de s’essayer comme professeur d’économie, pour les opportunités de voyage qu’offrent les établissements français à l’étranger… et les mois de juillet et août !

D’autres projets de voyage ? Rien de précis pour le moment ; mais oui, assurément, quand les enfants auront passé le grand tournant qui les attend bientôt. Ils se référent à des amis qui envisagent de consacrer une pleine année à la visite de la seule Turquie.

Nous aussi répondons à leurs questions, sur notre expérience d’expatriation en Jordanie notamment. A présent qu’ils ont traversé l’Europe d’ouest en est, l’Orient semble les attirer à son tour. Leur curiosité est palpable lorsqu’on évoque notre vie au Proche-Orient.

Mais la France attire également chacun d’entre nous. Sandrine citait une fois Ronan avec ironie : « Pourquoi se faire &#?$ durant 4500 km si c’est pour s’émouvoir devant la côte bretonne ? » (Bulgaria <http://www.lepennec.org/partons/bulgaria/>) Sans doute parce qu’il n’en faut pas moins pour devenir curieux d’où l’on vient.

On parle avec excitation de la possibilité d’une escapade commune à vélo.

A l’issue d’une ultime journée de route, on prend notre dernier verre à la terrasse d’un bar d’Héraklion. La petite famille s’apprête à embarquer pour Athènes, où les attendent déjà Stéphane, Swanee, et leurs deux enfants, pour un séjour dans la capitale. Nathalie et moi restons encore quelque jours sur l’île avant de nous envoler pour Amman. Ce petit supplément en amoureux nous fournira une transition sans laquelle le retour au quotidien aurait pu être douloureux.

On se dit tout le plaisir qu’on a eu à partager cette expérience, qui est de celles qui soudent les amitiés. Ronan et moi nous sommes rapprochés ces dernières années, malgré la distance. Sandrine, que nous n’avions pas rencontrée souvent, s’est fait une belle place dans le cercle de nos amitiés.

On s’embrasse avec affection. Timide, Élouan nous accorde un sourire triste en agitant la main. Yanaël voudrait bien aller jouer avec les adolescents sur la place.

On les regarde s’éloigner dans leurs beaux gilets jaunes à bandes réfléchissantes. Plus tard, on observe leur ferry depuis la digue où on fait une promenade avant de rentrer à l’hôtel.

Bonne suite de voyage, les copains. Rendez-vous l’été prochain.

P.S. : Suite aux protestations des intéressés, je nuance le portrait idyllique que j’ai tracé.
Sandrine et Ronan se crêpent le chignon chaque fois qu’ils racontent une anecdote ou qu’ils cherchent un truc dans les sacoches (c’est à dire tout le temps), Élouan devient insupportable dès qu’il s’agit de faire le feu, et Yanaël a bouffé la moitié de mon omelette à notre dernier repas. Tout ça ne m’avait pas paru fondamental, mais puisque l’éditeur insiste…

Erwan