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Carnets de route

Les imposteurs

À notre arrivée à Cluj-Napoca, le père de Stéphane nous avait dit « Vous êtes des héros ». Avec son joli accent roumain, cela sonnait un peu comme « vous êtes des zéros » et ça nous faisait bien rire. Jusqu’à Istanbul, nous nous sentions de « vrais » voyageurs à vélo. Hormis une traversée en train des montagnes roumaines enneigées pour rejoindre la mer noire et un passage éclair en stop pour arriver à l’ancienne Byzance, c’est essentiellement la force de nos mollets qui nous avait fait avancer.

Mais voilà, nous avons depuis découvert les joies du transport en bus et cédé plusieurs fois à la facilité mécanique. Nous laissons ainsi au chauffeur la sinécure d’avaler les kilomètres et de gravir ces routes escarpées pendant que nous admirons le paysage défilé sous nos yeux. Bien évidemment, la terre n’est pas aussi belle en autocar, mais cela nous permet d’avancer à vive allure. En plus, à bord, la température est clémente, Elouan peut profiter des diffusions de Cartoon Network et le personnel déambule dans l’étroit couloir avec un petit plateau chargé de friandises et de boissons. Notre voisin octogénaire cleptomane s’en est d’ailleurs rempli les poches avant de les refiler discrètement à Elouan.

En l’espace d’une semaine, nous avons traversé la Turquie du nord au sud, quitté la mer de Marmara pour rejoindre les bords de la mer Égée. Il nous aura fallu prendre deux bus, voyager de nuit avec les enfants endormis sur nos genoux, graisser la patte des chauffeurs un peu effrayés par notre chargement. 9H30 de bus plus tard, nous arrivions à Muĝla, sous la pluie, fatigués et un peu déçus de ne pas sentir une réelle différence au niveau de la température.

Nous avions prévu le coup pour la suite en contactant un membre du réseau Warmshower pour lui demander l’hospitalité pour deux jours. Adnan est le fondateur du club cycliste local. Ne pouvant nous héberger, il nous avait trouvé une solution de repli chez un de ses étudiants. Après un bon café à la gare routière, nous avons repris nos vélos pour nous diriger vers le centre-ville. Même sous la pluie battante, la ville nous a plu d’emblée. C’est peut-être la première en Turquie qui ne semble pas née des années 50. De belles maisons traditionnelles jalonnent les rues piétonnes, ça nous rappelle un peu Sozopol sur la côte bulgare, en plus vivant. Nous croisons par hasard Ali, qui nous emmène nous mettre au sec dans son magasin de vélos. Il nous offre le thé et en profite pour inspecter et réviser l’engin de Sandrine, gratuitement. Ali finit par appeler Adnan qui contacte Heja, l’étudiant censé nous héberger.

Heja au grand cœur

Au final, nous ne dormirons jamais ni ne verrons l’appartement d’Heja. Il nous conduit d’abord chez son ami Fatih qui vit dans une maison dans le quartier universitaire. Nous passerons là la première nuit après avoir fait la connaissance du petit cercle d’amis. Le lendemain, nous levons le camp pour nous installer ailleurs, chez Alif, la voisine d’Heja, qui vit dans un confortable appartement 3 pièces.

Il est difficile de décrire à quel point Heja, Fatih, Seda et Alif ont fait preuve de générosité et de gentillesse à notre égard. Ils nous ont reçus comme des princes, nous servant à chaque repas des mets délicieux concoctés en deux coups de cuiller à pot. En l’espace de trois jours, c’est tout un pan de la cuisine turque que nous avons englouti, surtout Sandrine, toujours bonne dernière à table. Nous avons eu droit à des feuilles de vigne faites maison, des soupes en tout genre, des légumes grillés et épicés accompagnés de yaourt. Tout cela semble simple mais nécessite un vrai savoir-faire pour être succulent. Nous nous sommes lancés dans la réplique sans obtenir le même succès. Il y a d’ailleurs une formule de politesse (Elinize sağlik) qu’on utilise lorsque l’on quitte la table, repût et comblé. Elle se traduit par « que Dieu bénisse vos mains ! ».

Muĝla Bisiklet Club

Adnan, le président du club cycliste nous avait demandé deux choses : faire une présentation de notre voyage et faire une sortie à vélo avec eux dans les montagnes avoisinantes. Fort heureusement, il faisait un froid de canard dimanche matin et nous avons pu échapper aux 50km prévus. Nous étions soulagés de ne pas y aller. Nous n’avions aucune envie de parader et d’essayer de suivre la cadence de cyclistes légers et chevronnés. Par contre, chose promise chose due, nous avons bel et bien présenté notre voyage à un petit comité dans le local du club. Ce fut une belle expérience, Adnan traduisant en simultané nos paroles de l’anglais vers le turc. La présentation a duré plus d’une heure, beaucoup de questions nous ont été posées. Sans préparation, nous estimons que nous nous en sommes plutôt bien sortis. Cela nous a permis de voir le chemin qui nous restait à parcourir si nous voulions faire des conférences à notre retour.

Après Muĝla, nous avons repris les vélos pour nous diriger un peu plus au sud. Nous avons quitté le plateau anatolien pour atteindre Akakya, village côtier situé à 30km. Anthony, cycliste français rencontré lors de notre conférence nous a accompagné pour cette sortie. Parti de Paris en août 2012, il s’est installé à Muĝla l’hiver dernier. Il ne semble pas pressé de vouloir rentrer en France et nous le comprenons. À Akyaka, il nous a présenté Ayten et son fils Robin qui vivent ici avec la grand-mère. Nous avons été invités à manger avec eux au grand plaisir d’Elouan et de Yanaël, tout contents de découvrir une pièce remplie de jouets et de pouvoir jouer avec Robin et Anthony.

Une chose est sûre, nous nous sommes dégotés un sacré réseau de baby-sitters ici. Heja, Fatih et Anthony adorent les enfants et nous hésitons à investir nos derniers deniers dans la création d’une crèche.

Il nous restait encore un détail à régler avant d’arriver à Akyaka. Nous connaissions notre cap, mais vu les conditions météorologiques, camper aurait été suicidaire. Depuis quelques jours, le vent lamine la côte et l’intérieur du pays avec des rafales à plus de 90km/h. Nos amis nous ont encore une fois bien aidés. Ils nous ont trouvé un petit appartement à Akyaka pour 10€ la nuit. Bien nous en a pris, en allumant la télé le lendemain, nous avons appris qu’Istanbul et le nord de la Turquie étaient sous la neige, notre traversée en bus aura été salvatrice. Nous attendons donc sagement que le temps s’améliore avant de continuer notre chemin vers la péninsule de Bozburun et découvrir un peu mieux cette côte qui semble si belle.

En un mois, nous aurons dormi deux fois sous la tente, roulé 5 jours sans forcer sur les kilomètres. C’est un autre voyage qui a commencé depuis notre arrivée à Istanbul. Nous prenons notre temps. Notre seul objectif étant de ne pas trop souffrir du froid.

La crise bretonne

À l’heure où la Bretagne semble préoccuper le gouvernement français, je me disais que l’islam pouvait être une solution à une industrie agroalimentaire en crise. Bretons, convertissez-vous vite !Les cochons disparaîtront !

Ronan
 

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Ormanevi

Il faisait nuit noire lorsque nous avons quitté l’appartement à Istanbul. À 6H25 du matin. Le petit matin s’est pointé le bout du nez alors que nous arrivions au terminal de ferry, quelques kilomètres plus loin. Et même si nous avons réussi à traverser le quartier sans trop d’encombres et de stress, nous avons raté de quelques minutes le départ pour Bandirma. Levés trop tard, préparation trop lente. 5H du matin n’est pas notre heure la plus efficace. Bien dégoûtée, je suis allée acheter des billets pour le prochain bateau, soit en destination de Mudanya, 100 km plus à l’est sur la côte qui borde la mer de Marmara. Nous allions être obligés de trouver une autre solution pour parcourir la différence, ne pouvant pas faire 250 km avant mardi, jour où nous étions attendus à Biga.

Après une traversée d’à peine deux heures sur mer plate, nous avons décidé de profiter de la situation et de suivre la petite route le long de la côte, ralliant ensuite une grosse ville, quelque 75 km plus loin. De là, il allait certainement être possible de prendre un bus. En trois petits jours, c’était largement jouable. Nous avons donc enfourché nos montures sous un soleil radieux et peiné en gravissant les jolis monts longeant la mer. Après quinze jours d’arrêt et une nuit de quelques heures, nos vélos semblaient peser le double de leur poids habituel. Nos efforts ont cependant été récompensés puisque cette partie de la côte est très jolie et visiblement peu fréquentée par les touristes. Nous étions même surpris de découvrir des endroits en bordure de mer avec pratiquement aucune habitation.

Nous étions émus lorsque nous avons vu nos premières olives samedi matin. Contents de cette rencontre, synonyme de sud et de soleil. Les arbres sont gorgés de fruits noirs, murs, prêts pour la récolte. Elle bat son plein dans cette région où les oliviers s’étendent à perte de vue dans les montagnes. C’est donc dans une oliveraie que nous avons campé samedi soir, ou plutôt, samedi après-midi. Il était à peine plus de 14h30 lorsque nous sommes arrêtés. La tente était montée à 15h30. Le repas presque digéré à 17h30. En un mois et demi, nous avons perdu près de deux heures de clarté le soir. Il fait désormais nuit à 17h. C’était pratique pour cette fois puisque nous étions littéralement morts de fatigue, mais les autres nuits dans la tente ont été un peu longues…

Samedi et dimanche ont été magnifiques. Chaudes et ensoleillées. Plus de 18 degrés. Nous les avons savourées avec des pauses de midi en bord de mer, permettant à Elouan de pratiquer ses techniques de pêche. Nous sommes désormais équipés d’une canne à pêche de premier prix avec moulinet fabriqué en Chine, de grande qualité. J’ai réussi à balancer le couvercle du moulinet dans l’eau en faisant un lancé. C’est pour vous dire ! Mais notre garçon est tellement heureux qu’il fait fi de tous ces détails techniques. Il pêche, du moins il essaie ! Ça lui suffit.

Les choses se sont gâtées dans la nuit de lundi. De la pluie et du vent. Nous savions que cela arrivait, mais nous n’avions pas imaginé qu’il allait pleuvoir autant. Nous avons dû zigzaguer entre les sillons et les flaques de boue en partant de notre emplacement lundi matin. De l’eau, il y en avait partout autour (et dans) la tente. Il a continué à pleuvoir sans relâche toute la journée. Nous ne savons pas si nous avons eu autant de pluie en 24h depuis que nous sommes partis. Même en Allemagne, nous avions l’impression d’avoir un peu de répit… Mais là, TOUT était trempé. Incluant nous. Nous avons quand même roulé nos 30 km restant pour atteindre Karacabey, où nous avons pris une chambre d’hôtel, bientôt ensevelie sous les matelas, sacs de couchage et vêtements suspendus pour sécher. Nous avions préalablement fait un tour à la gare routière pour vérifier qu’il y avait bien un autobus desservant Biga et acceptant nos vélos. C’était gagné pour 9h le lendemain matin !

Nous y étions à l’heure cette fois. Et après une petite frousse en voyant la tête du chauffeur qui refusait de prendre notre chargement, nous avons réussi à tout faire entrer dans les gigantesques soutes, déjà bien pleines. Nous étions presque gênés de profiter du paysage et de regarder défiler les kilomètres sur les panneaux. C’est chouette le voyage à vélo… en train, en autostop, en ferry et en bus ! C’est plus rapide et beaucoup moins fatigant ! Dommage qu’on n’y est pas pensé avant.

Nous nous promettons d’autres belles avancées puisque la Turquie bénéficie d’un très bon réseau de bus. Très moderne et confortable, à prix intéressant, ralliant tous les villes et villages. Nous allons certainement tenter de gagner quelques degrés en descendant directement sur la côte sud puisque les températures ont bien chuté. Mais nous verrons cela dans les prochains jours, car pour l’instant nous sommes au frais…

 

Ormanevi (ou la maison de la forêt)

Durukan et Volkan vivent depuis un an dans la maison de leurs grands-parents, en plein centre d’Haçikoy, minuscule village au pied des montagnes. Cherchant un lieu pour apprendre à vivre à la campagne, ils ont profité de cette maison vide en attendant de trouver l’endroit où ils souhaitent bâtir leur communauté, dans la même région. Ils sont quatre dans l’association, mais c’est surtout à eux deux qu’ils ont réussi en un an à faire revivre ce lieu et à le remplir de vie, de projets, de pots de confitures et de tomates, de haricots séchés, de yaourt, de discussions animées… et de « volontaires ». Nous les avons trouvés par hasard sur le réseau d’hébergement warmshower, mais ils font également partie du réseau Tatuta, équivalent turc du woofing, accueillant des bénévoles pour travailler à la ferme en échange d’un endroit où dormir et de quoi se nourrir.

Nous les avons d’abord trouvés un peu distants, peu curieux envers nous, et légèrement agacés devant quelques-unes de nos multiples questions (incluant celles d’Elouan). Durukan a passé la première soirée sur son ordinateur à skyper et à téléphoner. Puis nous avons appris qu’ils avaient reçu plus de cinquante personnes durant les sept derniers mois. Cinquante personnes différentes à accueillir et avec qui discuter, répondre aux questions habituelles, expliquer, etc. C’est beaucoup. Nous avons donc compris que pour survivre dans ce genre de situation, il est nécessaire qu’ils se comportent comme s’ils étaient seuls ou alors comme si nous étions là depuis longtemps. Nous avons rapidement opté pour la deuxième proposition et avons facilement pris nos aises, avec toutefois quelques moments de malaise devant le trop-plein d’énergie d’Elouan ou les pleurs de Yanaël.

Au fil des jours, nous découvrons ces deux jeunes hommes (célibataires… avis aux intéressées) drôles, généreux, simples et passionnés. Nous partageons de très beaux moments et d’intéressantes discussions sur leur projet et leurs vies. Avec nous se trouve également une autre bénévole du nom d’Asli. Très belle jeune femme de 35 ans, fuyant initialement le brouhaha d’Istanbul pour quelques jours, qui va probablement rester ici pour une période beaucoup plus longue (il y en a peut-être un des deux qui ne sera plus célibataire d’ici peu…) Nous avons la chance d’arriver dans un endroit jeune où il n’y a finalement pas beaucoup de règles et de structure, sauf celle de faire comme à la maison et de participer aux tâches selon les envies et les besoins. Pour la première fois du voyage, nous prenons le temps de véritablement passer l’étape de la première rencontre pour découvrir des gens un peu plus profondément, un peu plus doucement. Et ça fait un bien fou ! Nous nous levons le matin et préparons le petit déjeuner avec ou sans les autres, puis nous « travaillons » à nous deux plus ou moins six heures par jour, selon ce qu’il y a à faire : couper et corder du bois, bricoler des trucs dans le jardin, nettoyer à l’extérieur, préparer des fruits pour de la confiture ou du vinaigre, décortiquer des fleurs de tournesol, etc. Spontanément, nous préparons les repas lorsque nous avons une idée ou rien d’autre à faire. Elouan va et vient, aidant ici et là. Yanaël s’endort généralement dans l’écharpe le matin puis y retourne une bonne partie de l’après-midi. Sinon il reste avec nous dans la cuisine, à jouer avec ce qu’il trouve… Le seul problème est certainement celui de la température. La maison n’est pas chauffée et le sol, de même que la majorité des pièces, est très froid. L’unique pièce chauffée au bois nous sert de salon – salle à manger, mais il est difficile de s’y tenir à plusieurs là dedans, surtout avec le poêle et les enfants. Notre chambre est un vrai frigo ! Le thermomètre affichait 7 degrés au réveil après les nuits les plus fraîches. C’est presque pire que dans la tente ! Heureusement, nous avons droit à de grosses couvertures en laines bien lourdes et chaudes pour nous réchauffer.

Nous allons profiter de nos derniers jours ici pour planifier la suite. Notre séjour nous donne envie de renouveler l’expérience ailleurs, mais nous savons qu’il n’est pas aisé de trouver un endroit aussi souple qu’ici, puisqu’avec les enfants nous ne pouvons pas travailler autant qu’une personne normale et les conditions d’accueils sont souvent spartiates dans les fermes, spécialement l’hiver. Nous savons aussi qu’il va faire très froid assez vite et ne souhaitons pas rester bloquées une deuxième fois par la neige…

L’option la plus probable est que l’on descende en bus jusqu’à Bodrum pour ensuite traverser à Kos, île grecque située tout près de la côte turque. De là, il nous sera facile de rejoindre Rhodes, où nous prévoyons passer une bonne partie des mois les plus froids, soit de janvier à mars. Ce sera notre point rencontre avec les copains qui viennent en visite, et notre pause hivernale. Ce n’est pas que nous soyons spécialement fatigués depuis trois semaines, mais justement, nous savourons ces arrêts avec beaucoup de bonheur et prenons conscience que nous nous sommes très peu posés depuis notre départ, spécialement en dehors des grandes villes. J’attends impatiemment le moment où je pourrai faire ma petite balade quotidienne, sans me sentir pressée de repartir pour avancer ou pour trouver un endroit où camper. Nous allons tenter de trouver quelque chose à louer sur place, de pas trop cher en cette période.

Sandrine