Brasov nous a finalement retenus quelques jours. Nos hôtes nous ont convaincus de rester. Il faisait peut-être plus chaud sur la côte, mais pas suffisamment pour y camper. Des avertissements de vent fort étaient encore en vigueur jusqu’à vendredi dernier faisant baisser la température ressentie jusqu’à 0°C le matin. Nous avons donc laissé passer la vague de froid en profitant de notre intérieur douillet pour consulter la météo trois fois par jour. Il faisait tellement froid à Brasov que nous sommes à peine sortis. Nous avons tout de même poussé jusqu’au centre-ville pour faire quelques emplettes. Comme les autres villes roumaines que nous avons visitées, une fois passés les pourtours bétonnés et inintéressants, les centres sont souvent très beaux, avec beaucoup d’édifices anciens, de grands parcs et de rues piétonnes. Cette fois, c’était un vrai tableau d’hiver, avec toits de tuiles rouges sur fond de montagnes enneigées. Nous avons pu en admirer de plus près vendredi soir, de la fenêtre de notre train. Ce n’est pas sans émotion que nous avons regardé passer tous ces sapins chargés de neige et ces hauts pics rocheux, tout blancs. Ces visions nous ont confortés dans notre choix de déplacement, d’autant que le trajet s’est finalement très bien passé. D’un terminus à l’autre. Le scénario parfait pour monter et descendre vélos, remorque et sacoches, libérés du stress des deux minutes d’arrêt. Les six heures sont vite passées, entre jeux, repas et repos. Notre arrivée à Constanta à 23h10 était froide et silencieuse ; seuls sur le quai de la gare à préparer les vélos dans le vent glacial. Nous étions bien contents d’avoir accepté l’offre d’Adi et de Xandra. Ils avaient demandé à des amis de nous trouver un hôtel pour nous faciliter la tâche en arrivant. Merveilleuse idée. Nous avons rapidement pu rejoindre l’hôtel Florentina et nous écrouler sur le lit après avoir rendormi les enfants, plutôt surexcités.
Le lendemain matin, nous avions une idée en tête : découvrir qui était le couple voyageant à vélo et dont nous avions vu le tandem dans le hall d’entrée. Ronan, devant le magnifique Lapierre avait opté pour des Français. Il avait eu bon. Christophe et Béatrice vivent près de Toulouse et sont partis de Munich pour rallier la mer noire en 28 jours. Ils ont suivi l’Eurovélo 6 mais en étaient très déçus, surtout de la partie roumaine. L’itinéraire leur a fait traverser des paysages inintéressants, loin du Danube, et emprunter de grosses routes avec beaucoup trop de trafic. Quelques jours plus tôt, ils avaient chuté sur la chaussée en traversant un passage à niveau et ont eu très peur. Il y aurait eu un camion derrière et s’en était fini… Nous avons partagé sur nos expériences traumatisantes réciproques. Il est vrai que la Roumanie est le seul pays où nous nous sommes sentis en danger lorsque nous avons dû emprunter des nationales avec des camions.
Cette rencontre nous a confortés dans nos choix et dans la liberté d’itinéraire que nous nous sommes donnée depuis le départ. Il est vrai que prendre des décisions n’est pas toujours facile pour nous et entre nous. Nous nous obstinons quelques fois (à peine…) et nous changeons souvent d’idée, ce qui nous fait perdre beaucoup de temps, mais nous finissons toujours par être d’accord et avançons alors avec le sentiment d’aller exactement où nous avons envie d’aller. Pour en avoir suivi quelques-uns, les itinéraires cyclables nous ont plutôt donné l’impression de nous rendre idiots et peu intuitifs (c’est vraiment sans aucun jugement pour ceux qui apprécient les itinéraires cyclables). Nous passions nos journées à chercher et à suivre les panneaux, sans nous demander si c’est vraiment là que nous avions envie d’aller ou si le chemin emprunté était vraiment le plus adapté.
Reprendre la route fut un peu difficile. Surtout au départ de Brasov. Adi nous a tellement déconseillé d’aller à Istanbul en suivant la côte bulgare qu’il a réussi à nous faire douter. J’ai essayé de le rassurer en lui expliquant que nous n’étions pas tout à fait fous ; nous prenons soin de nos enfants et ne voulons en aucun cas les mettre en danger, s’il fait trop froid nous ne dormons pas dehors (enfin, pas toujours…) et s’il le faut nous prendrons un autre transport pour nous avancer. Mais à trop vouloir le convaincre, c’est une partie de ma confiance que j’y ai laissée. Je me suis donc retrouvée démoralisée et stressée par la température et par la route à prendre.
Le soleil de samedi matin et les prévisions météo plutôt favorables pour la semaine ont réussi à me remonter le moral. C’est donc confiant que nous avons enfourché les vélos pour rejoindre le centre-ville en quittant l’hôtel. Nous avons aperçu la mer de loin, juste après avoir vu notre premier panneau directionnel indiquant « Istanbul ». Euphoriques, nous avons pédalé jusqu’au belvédère où nous avons mangé, au soleil et à l’abri du vent, en regardant cette Mare Neagra. Immense, belle, bleue turquoise lorsque le soleil brille. Elouan était aux anges. Après l’excitation de la neige, celle des retrouvailles avec la mer était d’un bon calibre. Nous lui avons promis que nous camperions sur la plage le soir venu. Chose promise, chose due. Nous nous sommes trouvé un petit coin de sable, jouxtant le mur d’une installation hôtelière fermée pour la saison.
À notre arrivée sur la plage, un jeune couple ramassait des coquillages avec leur petit bébé de quelques mois. Nous leur avons demandé conseil pour camper et avons entamé la discussion. Quelques minutes plus tard, la jeune femme nous propose de faire une prière pour nous. Un peu gênés, nous acceptons. Elle ferme alors les yeux et se met à remercier le seigneur. Elle lui demande de nous protéger et patati et patata. Elle en profite pour lui demander de nous faire croire en lui… Avant de partir, elle me prend à part pour m’expliquer ce qu’elle a ressenti durant la prière. Et là, c’est parti pour un tour! Elle essaie en quelques minutes de me faire croire en Dieu! J’essaie de rester concentrée sur ce qu’elle me dit en guettant Yanaël du coin de l’oeil qui s’empiffre de sable et Elouan grimpé en haut de la chaise de surveillance de plage. Je commence à m’impatienter et lui explique calmement que je respecte profondément tous les croyants de cette terre, mais que pour ma part je suis athée et que ma rencontre avec Dieu ne s’est pas encore produite… Je prétexte le besoin d’aller monter la tente avant qu’il ne fasse trop froid et empoigne Yanaël. Au même moment, Ronan arrive et elle en profite pour lui rejouer la même scène. Visiblement plus poli que moi, il est revenu tout ému avec ses deux pots de fruits au sirop. Un peu plus et il signait en bas de la page…
Notre première nuit sur la côte fut froide. L’idée de la plage était mignonne, mais un peu amateur. Le vent s’est levé durant la nuit et s’est engouffré sous le double toit, complètement distendu à cause des piquets dans le sable. J’avais l’impression de sentir les bourrasques dans la tente. Nous n’en menions pas large au petit matin, inquiets pour les jours à venir. Le lendemain, décidés à en finir avec notre allure d’escargot et motivés à descendre la côte à toute allure nous avons englouti les 40 km qui nous séparaient de la frontière et nous sommes campés une dizaine de kilomètres plus loin, dans un petit bois, cette fois à distance respectable de la côte. Nous avons (re)lancé l’opération «nuits froides » avec succès ; arrêter vers 17h, préparer un bon feu le soir et le matin, rentrer dès la noirceur dans la tente, mettre les chaussettes et le bonnet pour dormir. Cette fois, la nuit fut beaucoup plus agréable…
Nous sommes donc entrés en Bulgarie dimanche soir, par le poste frontière de Vama Veche, à quelques kilomètres à peine de la mer. Ce lieu de villégiature roumain, réputé pour ses rassemblements hippies et naturistes semble avoir perdu beaucoup de ses attraits. Au-delà des grandes plages de sable, ce que nous avons vu de la côte roumaine, sale, délabrée et bétonnée en grande partie, nous a plutôt donné envie de fuir. Comme pour nous faciliter les adieux. Malgré l’excitation que suscite la découverte d’un nouveau pays, le passage à une autre langue est un peu rude, surtout après 38 jours en Roumanie. Retour au slave après la facilité d’une langue latine. Nous fouillons dans notre mémoire pour retrouver les quelques bribes de polonais et de tchèque qu’il nous reste. Ça nous aide un peu à comprendre, mais ça ne nous sauve pas. Les différences sont importantes et la difficulté est accentuée par l’alphabet cyrillique que notre court passage en Ukraine ne nous a pas permis de maîtriser.
Ronan a fêté ses 35 ans mardi. Nous avons eu droit au plus beau paysage depuis notre arrivée sur la côte. Des falaises plongeant dans la mer avec un environnement très sauvage. On se serait cru en Bretagne. « Pourquoi se faire &#?$ durant 4500 km si c’est pour s’émouvoir devant la côte bretonne ?» s’est dit Ronan. Il était quand même heureux de retrouver la mer pour son anniversaire. Nous sommes tombés sur ce petit joyau par hasard, en cherchant une route longeant la côte, histoire de quitter la nationale que nous suivions depuis trois jours. Nous avons passé une bonne partie de la journée à nous balader sur ce très beau parc archéologique comprenant plus d’une centaine de grottes ayant été habitées durant des millénaires ainsi que les ruines d’une forteresse romaine.
Les choses se sont gâtées dès le lendemain. Les installations hôtelières ont commencé à se multiplier et en quelques kilomètres nous sommes passés d’une côte presque sauvage à des complexes hôteliers immenses et immondes, bordant de grandes plages de sable. L’entrée et la sortie de Varna furent intenses et périlleuses. Nous avons dû suivre la seule route, s’apparentant à une voie express. Epuisés et stressés nous avons réussi à nous trouver un endroit près du bord de mer pour y passer la nuit.
Pour l’instant, notre pari est réussi. Il fait chaud depuis mercredi. Le thermomètre monte doucement de jour en jour et descend beaucoup moins la nuit. Il a fait 18 degrés dans la tente les trois dernières nuits. Presque trop chaud. Après quelques jours de soleil, nous sommes passés à des ambiances de brume le soir et le matin. Nous verrons comment seront les prochains jours. Si tout va bien nous allons continuer la route jusqu’en Turquie en longeant plus ou moins la côte. Il nous reste un mois pour arriver à Istanbul.